Un sujet que j’aimerais beaucoup aborder depuis un moment, c’est celui du rapport au corps lorsqu’il devient malade. C’est quelque chose que j’ai expérimenté l’an dernier. Mon corps a commencé à me « faire défaut », à ne plus fonctionner correctement. Alors qu’il n’avait que 22 ans, ce corps est devenu un problème. Forcément, ça a eu des répercussions sur mon bien-être psychique: il est devenu source d’inquiétudes, d’incompréhensions, de peurs, de frustrations, de colère aussi. Un corps, ça vous porte; là c’est moi qui le portais à bout de bras. Il est devenu lourd, encombrant, gênant.
Il a arrêté de m’appartenir par moments, puisqu’il a fallu le confier au corps médical (oui c’est marrant). On a commencé à le scruter, l’étudier, le toucher, lui faire des prélèvements, le scanner, enregistrer ses réactions. Certes c’était nécessaire et c’était pour mon bien, quoi qu’il en soit j’ai dû me détacher de lui à bien des moments. Je le détestais pas, c’était pas de sa faute non plus. On ne se rend pas compte à quel point tout est réglé comme du papier à musique, le moindre petit grain de sable peut venir enrayer la machine.
Mon corps, je l’ai un peu oublié et mis de côté. J’ai commencé à beaucoup dormir en journée. D’une part, j’allais mal et je n’avais plus d’énergie. Ensuite, dormir c’était un moyen de passer le temps. Dormir, ça voulait dire rêver: dans mes rêves je n’étais pas malade, j’allait bien. Dormir, ça permettait de se couper de la réalité, de faire un break. Ce corps, j’ai arrêté de l’habiter momentanément. J’ai essayé de le quitter, mais ça ne marche pas comme ça.
J’ai de vieux comportements pourris qui ont refait surface. J’ai eu des pulsions auto-agressives, parfois juste des idées et parfois des pertes totales de contrôle. Ce corps, je lui ai fait du mal directement ou indirectem. C’était de la colère et du mal-être, c’était pas forcément contre lui. Pourtant c’est à lui que je m’en suis pris.
On s’est un peu désolidarisés lui et moi. Sauf qu’en fait, lui et moi on ne fait qu’un, pour le meilleur et pour le pire. Ça m’a pris du temps d’arrêter de nous flageller. Je crains encore souvent qu’il ne me réserve d’autres (mauvaises) surprises, mais j’essaye quand même de voir ses bons côtés. Il a beau être un peu défaillant sur les bords, bah il marche. Il s’adapte, il crée de nouvelles connexions, il « s’actualise ». Rien que pour ça, il mérite d’être pris en considération.
Remercier son corps, prendre soin de lui, même quand (surtout quand) il en fait des siennes. Malgré son état qui se dégradait, et malgré mes « épisodes auto-agressifs », j’ai commencé à y faire un peu plus attention et à me recentrer sur lui. C’est venu petit-à-petit, par des gestes assez anodins finalement: j’ai commencé à avoir une « routine beauté ». Pas grand chose, juste m’accorder quelques minutes par jour pour me chouchouter. Non seulement elle m’a fait du bien physiquement cette routine, mais aussi psychologiquement. Mon corps m’appartenais à nouveau. Même si la journée avait été horrible, pendant quelques minutes je me reconnectais à lui. Ça m’a aussi permis de comprendre que même avec deux sens en moins, je pouvais continuer à percevoir le monde, différemment. Mon corps et moi, on allait continuer à exister malgré la maladie. Il fallait continuer à faire équipe, à prendre soin l’un de l’autre.
C’est un peu évident comme constat, mais prendre soin de soi c’est importent. Se ré-approprier un corps malade, c’est essentiel. Ça demande de la patience et des efforts c’est vrai. Un corps on n’en a qu’un: on ne le choisi pas, il peut tomber en panne ou nous jouer des tours; on est lié à lui le temps d’une vie et il faut apprendre à cohabiter ensemble.
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