Comment t’entends avec l’implant?

Avant de commencer cet article, je voudrais dire merci aux personnes qui m’ont posée des questions sur ce que je vivais actuellement. La curiosité tant qu’elle est bienveillante est une bien belle qualité. Je suis toujours contente de répondre à des questions, de partager mon expérience et ma « perception du monde » en quelque sorte. C’est chouette de poser des questions, de demander pourquoi, de chercher à comprendre et à sortir de ses propres pompes. Merci de me lire et de poser des questions!

Aujourd’hui je vais essayer d’expliquer comment j’entends avec mon implant (j’avais dit que je le ferai dans mon article sur L’audiolink). C’est difficile pour moi d’y répondre pour plusieurs raisons. Déjà, je n’en suis qu’à 4 mois de mon activation. J’en ai pas encore fini avec la rééducation, et à chacun de mes réglages je peux percevoir les choses différemment. C’est d’ailleurs ce que m’a dit mon orthophoniste dernièrement, « le travail avec l’implant c’est pas en ligne droite ». Un jour je comprendrais assez bien ce que vous direz et la semaine d’après ça sera compliqué, et c’est normal. Ça varie, surtout que je suis encore en train de m’habituer à mon implant. Il y a des jours où je suis fatiguée, stressée, pas dans mon assiette et ça joue sur ma compréhension. Ainsi que la taille de la pièce. Ainsi que le bruit environnant. Ainsi que l’alignement des planètes. Ensuite, chacun réagit différemment à l’implant donc je ne peux pas (et ne veux pas) parler au nom de toutes les personnes implantées. Mais je vais essayer de vous expliquer comment ça se passe pour moi.

Quand on m’a activé mon implant, et surtout quand on m’a parlé pour la première fois, je me suis exclamée « c’est de la parole ça?! ». Parce que dans un premier temps, on entends des bips, des « bruits de robot ». Le cerveau il comprend pas ce qu’il entend et c’est le but de la rééducation: on réapprend à comprendre. La première voix que j’ai entendue était celle de mon régleur il me semble, et ça ressemblait un peu à la voix d’un petit robot tout rouillé en pleine agonie. Les premiers mots qu’on m’a donnés à reconnaître étaient les jours de la semaine. C’est dimanche que j’identifiais le mieux à cause du « che », et parce que j’avais l’impression d’entendre une souris joyeuse le prononcer (« diiiimaaanchhhhe! »). La première semaine, tout était bizarre. Tout faisait plus ou moins le même bruit, bip bip ou la variante bip bop. J’ai dû être extrêmement pénible à vivre durant cette période, parce qu’il m’arrivait fréquemment de taper en boucle sur des objets ou faire des bruits de bouche pour voir ce que ça faisait comme bruit. Tout était à découvrir. C’est venu progressivement, et ça vient encore. Petit à petit j’ai compris des mots, puis des petites phrases, puis des plus longues. J’ai commencé à reconnaître certains bruits.

Cependant je n’entends plus comme avant. C’est une réalité qu’il faut accepter: je n’entendrais jamais plus comme avant, l’implant ne remplacera jamais mon oreille. Mais j’entends toujours plus que rien, donc c’est quand même génial. Déjà, dites-vous que j’entends grâce à un micro. Un très bon micro certes, c’est pas de la merde il faut l’avouer. Mais c’est un micro, pas une oreille. Y a ça d’une part, ensuite mon cerveau il a encore un peu de mal à comprendre ce qu’il lui arrive. Il apprend à interpréter le signal envoyé par un processeur. Un processeur. À quelle heure tu fonctionnes avec des éléments électroniques toi? Bon. « Mais c’est pas dingue qu’un jour y a un mec qui s’est dit, tiens je vais brancher un micro sur la tête de quelqu’un et il va entendre? » j’ai dit à mon papa, et il m’a répondu « nan pas tant que ça ». « Ah tu trouves pas? » « je suis technicien en électronique, donc je comprends un peu comment ça marche ». Okay. Sachez que mon papa sait aussi réparer tout et n’importe quoi (sauf les montres), qu’il est artiste-faussaire-restaurateur à ses heures perdues et qu’il est le célèbre inventeur de la glace à l’eau pétillante.

Quand on me parle, j’entends pas vraiment la voix. J’ai eu des réglages où je reconnaissais le timbre de voix de mes proches, mais par dessus il y avait comme des interférences. Ça grésillait un peu par dessus et parfois la parole ressemblait à de la purée de pommes de terre. Là j’ai un nouveau réglage depuis une semaine (vous le savez, il a demandé du fil à retordre à cause de mon Nerf facial). Je dois m’y habituer; à l’heure où j’écris ces mots, quand on me parle j’ai l’impression que la personne a une grenouille-robot dans la gorge et qu’il y a un accordéon qui joue en fond Ah je vous avais prévenus, l’implant c’est un autre délire. Parfois, je comprends bien, et d’un coup pouf! Tout se brouille. C’est comme de parler au téléphone et la liaison est mauvaise vous savez, voir archi mauvaise voir « putain je paye 30 balles par mois pour cette daube ». Et moi je comprends mieux les aigus que les graves: dernièrement j’étais capable de converser avec ma mère à un débit normal, mais mon papa c’est pas la même limonade. Je dois le faire répéter énormément. La voix de ma mère est claire, la sienne est clairement brouillée et je loupe des mots. Ça a l’air de progresser doucement. Ceci dit, j’ai plus de mal avec les voix graves mais aussi avec les phonèmes graves, les mots graves. Par exemple, le son « ou » est d’une outrecuidance oufissime à ouïr pour moua. La phrase « on en est où » c’est le summum de la cruauté parce que les voyelles s’enchaînent et c’est compliqué. Ça fait « ée:-cy:x!,? » (j’ai tapé sur tout plein de touches au pif sur mon clavier braille ce fut rigolo). Comme le mot « pays », moi j’entends « pllli ». C’est ainsi qu’en rééducation j’apprends que « beaucoup de plis vivent dans la misère ». C’est vraiment intéressant en vrai cette histoire de phonème, j’aime bien comprendre pourquoi je comprends pas.

Parfois j’entends des bruits qui ne ressemblent à rien de ce que j’ai connu, mais je sais ce que c’est parce que j’ai appris à les identifier malgré tout. Et il y a d’autres bruits que j’entends à peu près comme avant. C’est le cerveau qui s’habitue petit à petit, mais ça prend du temps et c’est normal.

Il y aura peut-être un update à cet article dans quelques mois, parce qu’il me reste encore du travail avec l’implant. C’est pas toujours facile mais j’en suis très contente, même si je comprends pas toujours tout très bien tout le temps. C’est un travail de longue haleine qui demande patience et persévérance. Entendre, comprendre, c’est fatigant. C’est pas comme avec des oreilles fonctionnelles, ça atterris pas d’un coup dans votre tête genre bingo. Avec l’implant, il faut analyser, se concentrer. Je sais pas si ça va changer, mais j’ai par exemple du mal à écouter quelqu’un tout en faisant autre chose à côté. Ça me fatigue beaucoup. Je ne suis pas entendante, je ne le suis plus. Je suis sourde implantée: je capte les bruits et voix mais ça peut m’arriver tout brouillé, un peu comme une radio grésillante qu’il faut ajuster. Gardez ça en tête quand vous me parlez: je ne vous écoute pas, je TRAVAILLE.

Si vous voulez en savoir plus, paraît que le film « Sound of metal » est très chouette. Les perceptions sonores du personnage qui se fait implanter sont très réalistes, et le filma aborde également tout l’aspect « travail », rééducation, fatigue, pression et attentes des résultats.

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