Quand j’avais commencé à me faire suivre au service ORL du Kremlin-Bicêtre, mon équipe avait vraiment tout mis en oeuvre pour comprendre ce qu’il se passait. Je perdais la vue, l’ouïe, j’avais une certaine sensibilité au bras, bref y avait anguille sous roche. C’était ainsi qu’on m’avait envoyée passer un examen clinique dans le service de neurologie de Bicêtre. La neurologue qui m’avait reçue, qui était vraiment gentille au passage, avait souhaité me faire passer des examens complémentaires. Mes deux équipes avaient convenu de me faire hospitaliser un jour avant mon implantation afin de réaliser une IRM et un électromyogramme. J’avais demandé à reporter, parce que ça faisait trop à gérer (les examens la veille, l’opération le lendemain, le stress). Finalement mon rendez-vous avait été remis au lundi 25 octobre.
Ce lundi donc, j’avais rendez-vous à 09h30 à Bicêtre pour passer mes examens. J’avais mis mon fameux t-shirt des examens médicaux, un t’shirt très large Rick et Morty avec un Monsieur Larbin (petit personnage bleu ciel de la série) qui lève les bras en l’air tout en faisant un grand sourire avec l’inscription « existence is pain » au-dessus de sa tête. Ça me fait rire de le porter pour ce genre d’occasion, un peu pour dire « je sais que vous allez me manipuler de partout comme une souris blanche, mais c’est pas grave j’accepte mon sort lol ». Mon père et moi on a rencontré un interne qui nous a annoncé le programme de la journée: IRM à 10h, électromyogramke à 11h et ensuite examen clinique/entretien avec la neurologue en chef. Chouette programme hein. J’ai bien aimé cet interne, parce que ce jour-là j’avais du mal à le comprendre (la pièce résonnait) donc on est passé par écrit. Plutôt que de s’adresser exclusivement à mon père il n’a pas hésité à prendre son téléphone pour m’envoyer lui-même des messages et m’expliquer de quoi ils étaient en train de parler. Très sympa. Donc vers 10h on est allé au pôle imagerie médicale avec mon père. On a dû parcourir 1km au moins avant d’arriver à la salle d’IRM (j’exagère mais à peine, Bicêtre c’est très grand et y a beaucoup de couloirs qui partent dans tous les sens). On est arrivé, une dame en blouse blanche est arrivée, et là ça a commencé à devenir drôle.
J’arrivais pas bien à l’entendre mais il m’a semblé entendre le mot « bandage » et elle a fait plusieurs fois le geste d’enrouler un truc autour de sa tête. Je savais qu’en cas d’IRM il fallait montrer ma carte d’implantée de la cochlée mais je ne savais pas très bien pourquoi. Ça arrive attendez. Là mon papa et moi on a quitté l’endroit, on a commencé à trottiner dans les couloirs. Entre deux battants de porte il m’a dit: « au revoir japonais ». Je me suis dit qu’il me signifiait que là ça allait prendre du temps et que c’était mort pour aller manger japonais ce midi. On avait jamais parlé d’aller manger japonais avant, c’était étrange. « Au revoir japonais? » ai-je demandé, ce à quoi il a répondu: « non, heureusement je connais ». Ça semblait plus cohérent d’un coup. Et c’est vrai qu’il connait bien l’hôpital, il pourrait faire voiturier ou guide Touristique. On a tourné encore et d’un coup j’ai reconnu le passage qui mène au service ORL. On n’était pas censé y aller aujourd’hui, j’ai eu un curieux sentiment d’être à la maison. Genre c’est mon terr:terr ce service maintenant.
À l’accueil, papa a expliqué le truc à une infirmière qui s’est mise à refaire le même geste d’enrouler un truc autour de sa tête. Elle a ensuite tapoté mon processeur (j’ai entendu « tuk! », la confirmation que ceci était bien un implant cochléaire j’avais un doute) donc j’en ai déduis qu’il y avait une forte corrélation entre cette histoire de bandage et l’implant. J’ai essayé d’avoir plus d’informations et j’ai appris qu’il fallait un matériel spécial pour que je puisse passer mon IRM, qu’au pôle IRM ils ne l’avaient pas, qu’en ORL mon docteur spécialiste de l’implant était actuellement au bloc alors une infirmière était partie le voir pour savoir quoi faire. Vous vous demandez sans doute POURQUOI faut-il un bandage. Moi au début je pensais que c’était pour ne pas abîmer/dérégler la machine à IRM, pour ne pas que ça gêne la prise de photos. La réalité est bien plus atroce et glaçante que ça. J’ignore comment c’est foutue une machine à IRM, mais il y a une histoire d’aimant. Et mon implant il a un aimant (c’est d’ailleurs comme ça que tient mon processeur en place). Et les aimants entre eux ils s’aimantent. Donc en fait s’il faut faire un bandage de tête bien serré pour passer une IRM, c’est pour éviter que l’implant ne bouge à cause de la machine. VOILÀ! Alors au début, ça me faisais marrer parce que c’est quand même incroyable qu’à chaque fois il m’arrive des trucs aussi improbables, qu’on s’était retrouvé à courir au service ORL parce qu’en imagerie ils avaient pas ce qu’il fallait et qu’en plus mon chirurgien était occupé. Je le prenais à la rigolade oui, au début, puis j’ai commencé à légèrement paniquer. Je me suis dit: « Mais en fait, l’équipe imagerie qui a pas l’air d’avoir le matériel qu’il faut, quand on leur aura ramené le bandeau spécial est-ce qu’ils vont réussir à me le mettre correctement? Ils ont pas l’air de s’y connaitre, est-ce que c’est pas un peu dangereux de leur confier cette tâche? ». Heureusement pour moi, c’est une infirmière du service ORL qui me l’a fait. Un bandage tout simple bien serré. Et du scotch. « Si tu te sens mal pendant l’examen, tu appuies sur la petite poire qu’on va te donner » m’a dit mon père avant que je lui donne mon processeur. J’étais pas rassurée du tout.
On est reparti au pôle IRM. Je me suis préparée pour l’examen, un peu déconfite. Avant de partir Papa m’a écrit rapidement dans la main: « courage ». Un peu comme « prions pour que ce truc ne jaillisse pas hors de ta tête ». Un remake d’Alien avec ma méduse qui explose mon crâne et se carapate en rampant sur ses petites pattes-filaments, laissant sur son sillage une trainée de sang, de derme arraché et autre cochlée en miettes. Miam. Je me suis allongée sur la table mouvante de la machine et je suis partie dans le tube, tel un cadavre à la morgue que l’on range dans son tiroir-frigo. Ambiance jusqu’au bout. Ça sentait vraiment le film d’horreur (Hollywood, contactez-moi). La machine s’est mise en marche. Brr-brr BAM BAM BAM (je vous fais le contexte). Pas de douleur ou de sensation de truc qui bouge, j’ai commencé à me détendre. « La vengeance sanglante de la méduse » attendra. La table m’a emmenée un peu en avant, puis en arrière, puis re-en avant, re-en arrière. Au bout d’un moment c’était très long. Et il pelait vachement dans cette chambre-froide à macchabée. Je me suis auto-congratulée d’avoir mis un legging le matin et pas mon jean, parce que sinon j’aurais dû le retirer à cause du métal des boutons. Croyez-en mon expérience: quand vous passez des examens médicaux mettez un legging, ça peut vous sauver la mise. Et dans le cas où on vous le ferait retirer, choisissez un t-shirt large qui vous couvre les fesses et la dignité. Et si vous n’êtes pas à l’aise avec vos poils prenez garde, parfois vous pensez faire un examen de tête et on regarde vos dessous de bras. Oui et puis, veillez à ne pas porter une culotte trouée. Tout ça c’est du vécu, je m’y connais. Bon. Il caillait sa mère dans ce foutu tube à IRM et ça faisait un bon moment que j’y étais. À chaque fois que la table repartait en avant je me faisais une fausse joie, pensant que c’était fini (pas du tout).
Je sais pas combien de temps je suis restée là-dedans, au moins 30 minutes je dirais. Apparement c’était compliqué car l’implant a provoqué pas mal d’images fantômes. La vengeance de la méduse n’était pas sanglante mais à base de photo-bombing-spectral. La méduse troll. J’ai retrouvé mon papa dans le vestiaire. Il m’a aidé à enlever mon bandage. Il tenait la bande et moi je tournais sur moi-même pour la dérouler. C’était très rigolo, et puis quand je me suis arrêtée de tourner j’avais le tournis. Heureusement qu’il y avait une chaise dans la pièce, sans quoi je me serais ramassée la tronche par terre. J’ai toujours des idées à la con. Papa m’a repassé mon processeur. On a frôlé la crise cardiaque parce que, allez savoir pourquoi, je n’arrivais pas à le coller à ma tempe. J’ai crié: « non ça va pas! ». Best réflexe ever. Puis le machin s’est collé, j’entendais à nouveau. La méduse n’avait pas bougé, hourra la vie. Pour me réchauffer mon père m’a prêté son gilet qu’on dirait que c’est fabriqué en oreilles de Manille tellement c’est doux. Ensuite nous sommes repartis vers le service de neurologie pour l’électromyogramme.
La Pièce avait quelque chose de très cosy: il y avait quelques personnes en blouse blanche et un lit-fauteuil au dossier incliné avec un méga oreiller posé dessus. Une attention délicate pour ce qui allait suivre. J’ai pris place sur le lit-fauteuil. L’une des docteurs est venue m’expliquer ce qu’il allait se passer mais c’était pas évident à suivre. Il était question d’électrodes, de sensations étranges et de manipulations cheloues. En bonne patiente que je suis je me suis docilement laissée faire. On m’a placée des électrodes sur les bras et le bas des jambes (deuxième fois de la journée où je me suis remerciée d’avoir mis un legging, car je n’ai pas eu à le retirer, on me l’a simplement retroussé sous les genoux. Suivant l’endroit où était posée l’électrode ça ne faisait pas le même effet, allant du petit picot au petit coup de jus en passant par cette délicieuse sensation comme lorsqu’on se cogne le coude. Ça m’a un peu rappelé un souvenir d’enfance, un affreux gadget-farce-et-attrape d’une camarade de classe: un faux paquet de chewing-gums et lorsqu’on essayait d’attraper le chewing-gum qui en dépassait on se prenait une petite décharge. Je sais pas qui est l’esprit tordu qui a mis au point cette horreur (ni celui qui l’a offerte à cette gosse). Imaginez la double déception: non seulement tu te prends un coup de jus mais en plus t’as même pas ton chewing-gum. « On a testé l’électricité. » m’a dit la médecin (j’avais bien remarqué), « Maintenant on va écouter le muscle. » a-t’elle poursuivi. Il ne s’agissait pas de prendre un petit stéthoscope et d’écouter les muscles raconter leur dure vie de muscle, non non. Il s’agissait de PLANTER UNE AIGUILLE DANS LE MUSCLE et de résister à la personne qui me poussait le bras/la main/la jambe/le pied pour enregistrer l’activité musculaire. C’était fun, j’ai bien golri. La docteur avait la gentillesse de compter jusqu’à 3 pour que je sache quand sa collègue allait piquer. À un moment elle a dit: « 1 » mais sa collègue a été plus rapide qu’elle donc elle a rapidement enchaîné: « 2,3. » (fallait garder une cohérence à la chose). Il fallait vraiment que je repousse la main de la personne au plus fort. Je me faisais encourager par la docteur, on se serait cru à un accouchement: « Allez-y poussez, poussez, bravo c’est super! ». Ensuite elles ont commencé à nettoyer le restant de colle à électrode sur mes bras et mes jambes. La docteur m’a dit que c’était fini. Sauf qu’elles ne m’avaient piqué que les muscles de droite. J’ai dit: « On ne fait pas le côté gauche? » et instantanément j’ai pensé: « Mais ferme ta gueule, pourquoi tu réclames? ». L’équipe a vraiment été super gentille, on leur a dit au revoir puis on est parti avec mon père pour la dernière étape.
Je pensais que c’était l’heure du bilan avec la neurologue en chef mais on s’est retrouvé dans une petite salle avec des fauteuils confortables. Mon père m’a fait asseoir sur l’un d’eux et m’a dit que j’allais avoir un plateau-repas, que c’était compris dans le forfait. Je sais pas si c’était réellement prévu, si ils ont eu pitié de moi après ces rebondissements ou quoi, mais ça tombait à pic. J’ai demandé: « Et pas toi? ». Ça a eu l’air de le faire rire. Moi ça m’a pas fait rire du tout, hors de question de me régaler toute seule si mon père n’a rien à se mettre sous la dent. J’aurais partagé mon plateau mais ils ont été super sympa et lui en ont fait un. On était comme des rois dans cette petite salle rien que pour nous, bien installé dans des fauteuils avec nos plateaux-repas posés sur des tables à roulettes. Il y avait même le chauffage et des toilettes, on se serait presque cru à l’hôtel. Je ne m’étais pas rendue compte à quel point j’avais faim, j’ai tout englouti. On a pu se reposer un peu et à 14h30 nus sommes allés voir la chef.
Je sais pas si c’était à cause de la courte nuit que j’avais passée, des divers examens du matin ou encore de la digestion (peut-être bien les trois), mais j’étais extrêmement dans les choux lors de ce dernier entretien. D’habitude ça a tendance à m’agacer qu’on s’adresse à mes accompagnateurs plutôt qu’à moi, mais là j’étais vraiment fatiguée et contente de pouvoir compter sur mon papa pour prendre le relais. Même en passant par écrit plutôt que par l’implant pour communiquer, j’avais eu mal à réfléchir. On a fait un dernier examen clinique à base de « Tu sens les vibrations ici? Et si je tape là, y a un réflexe? Va-y tu peu résister si je te pousse le pied? Tu sens ma main dans ton dos? Tu peux mettre en boucle ton doigt sur ton nez? Tu peux te mettre debout, coller les pieds et fermer les yeux? Tu peux faire le poirier sur une main et réciter l’alphabet à l’envers, mais que les consonnes pas les voyelles? ». Ça a l’air facile dit comme ça mais je vous promets que j’avais le cerveau en bouillie et devoir me concentrer pour comprendre ce qu’elle disait c’était pas folichon. Elle a voulu tester mon équilibre et m’a fait tenir sur un pied. J’avais du mal à tenir, elle m’a demandé si j’avais remarqué que mon équilibre était mauvais. J’ai pensé: « Écoutez, je vois bien que je suis à deux doigts de me vautrer, je suis réaliste docteur je sais que j’ai échoué au test. », mais j’ai répondu: « mui ». On est revenue à nos places, elle a parlé un moment à mon père (décidément non, je ne comprenais rien) puis elle a quitté la pièce. Papa m’a envoyé par message: « Elle veut te faire une prise de sang, c’est la dernière de l’année promis. Désolé. ». J’ai eu la réaction la plus spontanée de toute ma vie, un cri du coeur parti du fin fond de mes poumons: « Mais naaaaaaan! ». Je sais pas si on m’a entendue dans le couloir mais toute l’exaspération du monde est passée dans ma voix. Les prises de sang et moi c’est une longue histoire. Avant ça ne me faisait rien. Il a suffit d’une fois où, je ne sais pour quelle raison, j’ai fait un malaise vagal en sortent du laboratoire et me suis écroulée sur la devanture du coiffeur d’à-côté pour que ça devienne un réel traumatisme. Depuis ce jour, une fois sur trois je ne fais pas de malaise vagal suite à une prise de sang. Je suppose que c’est un cercle vicieux: j’appréhende de faire un malaise et du coup j’en fais un, ainsi va la vie. Et depuis le début de l’année je cumule un peu les prises de sang, là je partais pour ma 5e. Sachant que l’une d’entre elles n’avai strictement servi à rien, mais passons. Je me suis dit qu’après l’électromyogramme que je venais de passer je n’étais plus à ça près.
L’infirmière est arrivée avec son petit chariot en disant joyeusement: « C’est l’infirmière qui va vous faire la prise de sang! », ou un truc du genre. Elle avait l’air vraiment gentil, c’est dommage qu’elle avait une seringue sur son chariot. Par l’oeuvre du Saint-Esprit je ne suis pas tombée dans les pommes. En fait non, la docteur a juste demandé à mon papa de prendre mon poignet et le serrer quand l’infirmière piquerait. Je sais pas s’il s’en est rendu compte mais il a exercé des micro-pressions avant qu’elle pique (« C’est parti, attends non c’est, ohlala qu’est-ce qu’elle me raconte la dame là, quand est-ce que je dois appuyer moi, ohlala quelle tuile! »). Elle lui a donné le signal, il a serré mon poignet et elle a piqué. C’était long, elle a rempli une trentaine de tubes (au moins). Du coup pour me donner du courage j’ai fait une chose que je fais souvent dans ce genre de situation, j’ai marmonné les paroles de L’ami Ricoré derrière mon masque. Je pense que c’est pour cette seule et unique raison’ que c’est grâce à cette invocation mystique que je ne suis pas tombée dans les pommes.
C’est ainsi que s’est achevée cette longue matinée qui s’est terminée à 15h30 passées. C’était crevant, mais la bonne nouvelle c’est que je vais bien. À part ma surdicécité il n’y a pas d’anomalie neurologique. C’est un grand soulagement. J’ignore pourquoi on m’a fait une prise de sang, j’espère seulement que c’était pas une troisième analyse métabolique sinon je pète un plomb (c’était ça la prise de sang qui n’avait servi à rien, j’avais fait une analyse au laboratoire de ma ville et une semaine après ils avaient voulu m’en refaire une à la Salpetrière. C’est une autre histoire ma foi fort longue et chiante qui ne mérite pas qu’on s’y attarde). Pour le reste, je peux souffler: tout va bien. Pourtant, il reste un point que je n’ai pas abordé. Si vous avez lu attentivement cet article vous avez vu au tout début que j’ai une « sensibilité au bras », que j’étais (entre autres) allée en neurologie pour éclaircir ce mystère. Faudra que je vous raconte dans un autre article qu’est-ce que c’est donc que cette sensibilité, mais je vais d’ors et déjà vous en spoiler la fin: ON NE SAIT PAS CE QUE C’EST! Voilà! Et pour conclure, la morale de cette histoire sera: portez des leggings.
Édit: la prise de sang était bien une 3e analyse métabolique.
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