Fin de matinée, je suis confortablement installée à mon pupitre, encore en pyjamas, en train de rédiger une lettre manuscrite à ma grand-mère quand la sonnette retentit. Je n’attends personne, je suis occupée et pas franchement disposée à ouvrir à un inconnu, en plus si on se comprend pas je vais devoir descendre, donc je fais semblant de ne pas avoir entendu (j’ai une bonne excuse puisque je suis sourde, comme c’est pratique).
Je retourne à ma lettre, j’ai perdu le fil et ne peux pas me relire. J’écris une parenthèse dans laquelle j’explique que j’ai été dérangée et prends une nouvelle feuille pour continuer ma missive. La sonnette retentit une 2de fois, un peu plus pressante. Il faut savoir que sur la façade de mon immeuble il y a un grand panneau « À vendre » (même si l’appartement en question a déjà été vendu) et comme mon nom est le premier sur l’interphone les gens intéressés sonnent toujours chez moi d’abord. Je fais la sourde oreille, je suis en train d’écrire une lettre en pyjamas j’ai pas le temps moi, j’ai un planning chargé.
Pour mettre les feuilles de ma lettre dans le bon ordre dans l’enveloppe, et parce que ça ajoute une petite touche originale, j’ai pris l’habitude d’écrire en braille le numéro de page en haut à droite de chaque feuille. Je mets ma première page dans ma machine à écrire Perkins, je tape « 1 » quand la sonnette retentit pour la 3e fois, par petits à-coups désespérés. Je me dis que bon, là il faut faire un effort quand même et répondre, c’est étrange. Je prends mon courage à deux main et le combiné et je décroche:
« Allô? Allô? »
Je n’entends rien, je me dis que la personne est partie. Dommage pour elle. Sauf que ça sonne aussitôt pour la 4e fois. Je décroche et lance un peu sèche:
« Bonjour, je suis sourde il faut articuler! Vous venez pour l’appartement à vendre? »
« Non, c’est Papa! C’est Papa!»
Il passait juste me déposer un gilet de sécurité fraîchement acquis à Emmaûs. 10 minutes qu’il était en bas. Je suis affreuse.