Ma podologue madame Sourire

Ma condition d’aveugle m’a conduite cet été à enfin sauter le pas de la pédicurie, se couper les ongles de pieds étant devenu difficile avec la perte de la vue et ne supportant plus d’avoir des panards de troll des montagnes à la saison des sandales. Ma podologue, madame Sourire, est une adorable personne et je suis contente de retourner la voir chaque mois. À quelques jours de ma 2de implantation j’ai donc repris rendez-vous avec elle afin d’être prête de la tête aux pieds le jour de l’opération.

Je sortais de ma grippe étrange, j’avais encore un peu de mal à marcher droit sans ressembler à une étoile de mer un 14 juillet. Elle a tout de suite vu ce qui clochait en venant me chercher dans la salle d’attente:

– Il est pas là le chien?

– Non, j’ai un petit souci de harnais. Elle était très déçue de ne pas venir.

C’était vrai: le harnais de chien guide était effectivement en réparation et Manille m’avait fait sa tête de vieille en me voyant partir sans elle, d’autant que j’avais pris le rendez-vous chez sa copine la podologue en pensant la consoler d’avoir quitté le pays enchanté de Papa qui l’emmenait au parc chaque jour pendant ma convalescence.

Je suis rentrée dans le cabinet, j’ai retiré mes chaussures et me suis installée sur le fauteuil pour qu’elle fasse les soins de pédicurie.

Même si la compréhension n’est pas aisée elle essaye toujours de faire un peu de conversation:

– Ça a été les fêtes?

– J’ai été malade!

Et j’ai pensé:

« C’est d’ailleurs miraculeux que j’ai réussi à grimper sur le fauteuil sans me vautrer par terre. »

Ensuite elle s’est attaqué à mon gros orteil gauche. C’est une histoire que personne ne veut savoir, une histoire que je n’ai pas envie de raconter où il est question d’un ongle qui pousse un peu trop dans la peau et qu’elle doit couper à chaque fois à la scie sauteuse. Ça fait jamais du bien, ça fait même plutôt mal. J’avais La tortura de Shakira dans la tête, intérieurement je chantais: « Aïe amor, me duele tanto! ».

Puis quand ce fut fini elle m’a raccompagnée à la chaise devant son bureau pour que je remette mes chaussures. Je me suis assise en m’appuyant un peu trop sur le dossier. Ça devenait critique pour moi, j’avais la souplesse d’une seiche séchée sur la plage. J’ai remis mes chaussures et avant de partir je lui ai confié:

– Je me fais opérer le 12, la prochaine fois qu’on se voit j’aurais mon 2e implant!

Et j’ai pensé:

« Sauf si je me réveille pas de l’anesthésie et que je MEURS. »

En sortant j’ai prié pour marcher droit devant elle mais je pense que tout le voisinage a remarqué que je zigzaguais, y compris monsieur le maire dans son bureau deux pâtés de maisons plus loin.

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