Souvenirs d’EHPAD #7 : Madame Limonade

Madame Limonade faisait une fixette sur son décès. Elle était très atteinte cognitivement et me donnait l’impression d’être déjà un peu partie.

Un matin, alors qu’on faisait la revue de presse à un petit groupe de résidents dans la salle TV, elle a débarqué dans le couloir. Elle faisait avancer son fauteuil roulant en traînant les pieds par terre et elle geignait: « J’veux mouriiir! J’veux mouriiir! ». Comme c’est mon collègue qui faisait la lecture et que je me contentais juste de rebondir (j’irais pas jusqu’à dir que je n’étais pas essentielle mais bon, cf: « Quel drôle d’accoutrement qu’ils ont les gilets jaunes, vous ne trouvez pas? ») je me suis levée de mon tabouret pour aller voir la dame.

– J’veux mouriiir! Vous vous rendez compte, j’ai 94 ans et j’arrive pas à mourir! a-t’elle geint.

– Mais non Madame Limonade, vous n’allez pas mourir! j’ai répondu.

Je regrette beaucoup de lui avoir dit ça. C’est ce que tout le monde lui répondait: vous n’allez pas mourir, Madame Limonade. Or, si on l’avait écoutée un peu elle ne disait pas qu’elle ne voulait pas mourir mais qu’elle VOULAIT. Elle n’était plus bien, elle était très tourmentée. J’aurais aimé lui répondre: « Mais si Madame Limonade, encore un petit effort vous allez y arriver! ». On a une vision trop sacrée de la vie mais parfois les gens ne vieillissent pas bien et c’est un peu comme s’ils mourraient avant leur corps.

Cette dame a fini par mourir durant mon service civique. J’ai ressenti un pincement au coeur en même temps qu’un soulagement pour elle quand j’ai appris son décès. Je pense que si elle aussi l’avait su elle aurait été contente.

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