Implantation cochléaire #2 : un jour sans fin

Cet anecdote est l’épisone 2 de et article!

La ligne verte

Le brancardier m’a emmenée dans le couloir près du bloc opératoire. Derrière lui je voyais Père cavaler avec ma plage braille. Il avait pas le temps le brancardier.

On est arrivés dans le fameux couloir d’attente. Il y avait une grosse télé au mur pour passer le temps. J’ai pensé que c’était bête, qu’a priori les patients qui venaient ici n’avaient plus le son. Enfin j’avais plus l’image non plusa, moi.

Il faisait très froid dans ce couloir. On se serait cru dans le couloir de la Mort ou un truc du genre. Mes chirurgiens sont venus me saluer et ils portaient tous des blouses noirs, ça faisait vraiment pompes funèbres (j’apprendrais bien plus tard qu’il s’agissait en fait de bleu marine, mais sur le moment ça faisait juste thanatopracteur).

Ensuite je suis partie au bloc, j’ai dit au revoir à Père et roule ma poule sur son brancard.

Je me souviens avoir pensé: « Je n’aime pas ce plafond ». En effet la salle était toute grise et il y avait une énorme bouche de ventilation au-dessus de ma table. C’était très glauque.

L’anesthésiste est arrivée est a écrit des lettres à toute vitesse dans ma main un peu n’importe comment. Il y a un système de communication qui s’appelle l’écriture furtive. Il faut tracer les lettres en capitale dans la paume de la main. Il y a des règles comme respecter un sens de tracé et ne pas lever son doigt hormis pour les lettres avec point ou barre (Maman s’il te plait arrête de tracer trois bâtons quand tu fais un « N »). Je suis une sacrée bouse en écriture furtive. Enfin, surtout à l’époque. Il fallait souvent recommencer et réécrire ce qu’on venait d’écrire dans ma main. Aujourd’hui j’ai l’impression que ça va mieux et je n’hésite pas à attraper l’index de la personne pour avoir une meilleure perception du tracé (« Tu vas écrire mieux que ça ou je te rends pas ton doigt, t’as compris?! »). J’ai donc rien compris de ce que me disait l’anesthésiste. J’ai dit: « Non, non, il faut écrire lettre par lettre en majuscule! ». Elle a rigolé et finalement en mimant elle m’a fait comprendre qu’elle allait poser le cathéter.

Quelqu’on a découpé le haut de mon t-shirt (mon sublime t-shirt!!!) pour me poser des électrodes sur la poitrine. On m’a aussi mis un machin qui sert et relâche le bras à intervalle régulier pour prendre la tension et j’ai pensé: « Ouh toi tu m’énerves j’aime pas la sensation, vivement que je dorme que je te sente plus ». Une personne m’a mis un masque à oxygène sur le visage et m’a caressé les joues. Le masque était censé m’aider à me détendre mais j’avais l’impression d’étouffer.

L’anesthésiste a envoyé l’anesthésie. J’ai senti le produit remonter dans mon bras. J’ai pensé: « C’est normal que ça fasse mal? Oh, ta gueule non » et je me suis endormie.

Le réveil de la belle-aux-bois-dormants

Il faut dissocier le moment où on se réveille et le moment où on reprend véritablement conscience. Je ne me souviens pas du moment où je me suis réveillée mais mon réveil et ma reprise de conscience tournaient autour de deux choses: la colère et le pipi.

Ce dont je ne me souviens pas c’est qu’en me réveillant j’ai essayé de me lever pour aller faire pipi. Apparement mes parents n’étaient pas trop de deux pour me gérer. Je voulais aller à pieds dans ma chambre pour aller faire pipi (oui, et ensuite je reviendrais sagement dans mon lit en salle de réveil). D’après Père je parlais comme une bougie qui fond et je tordais mes draps. À la place de mes parents j’aurais demandé une ré-anesthésie sur-le-champs.

Ensuite j’ai repris conscience. Je me souviens que j’étais énervée.

Père m’a demandé si je voulais faire pipi. De quoi qu’il me cause celui-là, non ça va j’ai pas si envie. Mais j’ai dit oui. L’infirmière m’a ramené un haricot en plastique, en fait il fallait baisser son pantalon de plastique et faire pipi allongée sous ses draps.

« Boarf on n’est plus à ça près », j’ai pensé.

J’ai fait pipi. Et là.

Horreur et enfer et damnation.

Si vous avez déjà eu une infection urinaire vous connaissez cette affreuse sensation, vous avez comme envie de faire pipi mais vous venez d’y aller et votre vessie est vide. Pu. Tain. C’est pas vrai.

J’ai tendu le haricot à Père pour qu’il le rende (« Faites des gosses », qu’ils disaient) et je me suis dit qu’il fallait que je me réveille pour que l’anesthésiste le voit et m’autorise à remonter dans ma chambre (sauf que je pense que ça marche pas comme ça et qu’en réalité on regarde plutôt vos constantes).

J’en pouvais plus j’avais envie de faire pipi.

Je me suis rendormie.

« Merde, j’ai loupé l’anesthésiste! », ai-je pensé en me réveillant.

Père a essayé de me donner ma plage braille mais je l’ai repoussée, je ne voulais pas parler. À la place de Père j’aurais renversé mon haricot de pipi sur ma tête.

J’ai fait mon inventaire: j’avais toujours le truc pénible qui prend la tension au bras gauche, à la main droite j’avais mon cathéter maintenu par du scotch, j’avais des câbles reliés à mes électrodes sur la poitrine, j’avais un gros bandage à la tête avec un masque fiché dedans (oui c’est carrément ridicule vous avez le droit de vous moquer) et j’avais un tube à oxygène dans le nez. Je me souviens avoir été contente pour le tube à oxygène car je m’étais toujours demandé comment ça tenait en place.

C’était très long. Je me suis réveillée de l’opération à la moitié/fin de l’après-midi et on ne venait pas me chercher. J’avais envie de faire pipi.

J’ai pensé un truc que je me dis souvent pour me réconforter:

« Demain à cette heure-ci ça ira mieux! »

Puis:

« Putain mais qu’est ce qu’on s’en fout, là on est maintenant et j’ai envie de faire pipi! »

Je me souviens avoir geint: « Putain je vais creveeeer! » en me tortillant sous mes draps pile au moment où l’infirmière est arrivée me voir. On repassera pour la crédibilité.

En fait il n’y avait pas de brancardier « pour le moment ». De colère j’ai serré mon poing très fort afin de faire péter le scotch du cathéter pour me venger (de qui, je ne sais toujours pas).

J’ai redemandé mon haricot et je l’ai gardé sous les fesses après avoir fait pipi. Je crois que je me suis même endormie dessus. J’étais si dépitée.

L’infirmière est venue le récupérer au bout d’un moment et elle m’a essuyée avec du papier (on n’était clairement plus À ÇA PRÈS).

On était en début de soirée à présent, je sais pas si vous réalisez juste à quel point c’était atroce.

Père m’a expliqué qu’on attendait la relève des brancardiers qui prenaient leur service du soir à 21h30. Aaaaaaaaaah.

On a commencé à papoter avec ma plage braille. Père est revenu sur mon réveil: « Tu tournais comme un poulet rôti », a-t’il dit par message. J’ai explosé de rire en disant que j’allais faire pipi à force de rigoler et l’infirmière es arrivée en courant avec un haricot.

Home sweet home

Le brancardier a pris tout son temps pour prendre son tour. Au final je crois que je suis remontée dans ma chambre vers 22h. Ma mère nous y attendait. En fait ils ne pouvaient pas être à deux dans la salle de réveil et elle avait fini par partir après mon réveil.

On a retiré les rambardes à mon lit et j’ai enfin pu en sortir.

– Libéréééeee, délivréééeee! Ai-je chanté à l’adresse de mes parents, sauf qu’en fait l’infirmière était toujours là et je l’avait pas vue.

J’ai ENFIN pu aller faire pipi normalement et la désagréable sensation que j’avais a disparu.

J’ai demandé à l’infirmière si elle pouvait refaire le bandage autour de mon cathéter car: « Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé, le scotch a pété ».

Mes parents sont restés le temps que je mange puis ils sont repartis car ça faisait déjà tard.

Le lendemain matin j’avais un scanner à passer pour voir si l’implant était bien en place et mon premier réglage (en fait il y aura cafouillage et pour le réglage il faudra revenir le surlendemain).

« Éblouie par la nuit à coup de lumière mortelle »

J’avais passé toute la journée à dormir donc je n’avais pas bien sommeil.

En plus c’était pas évident de trouver la bonne position. Est-ce que je pouvais dormir sur ma tête là où il y avait désormais un implant? Et ma main droite avec le cathéter c’était galère aussi, il fallait faire attention à ne pas accrocher les draps avec ou appuyer dessus car ça faisait mal.

Et puis il y avait une espèce de grosse lampe de dessus-de-lavabo au-dessus du lit et elle faisait une lumière blafarde morbide. Je me suis agenouillée sur mon lit et j’ai cherché l’interrupteur. Je ne l’ai pas trouvé. J’ai pensé que ce truc devait probablement rester allumé toute la nuit pour les aides-soignantes et les infirmières si jamais il y avait un souci. J’ai arrêté de chercher, résignée à dormir avec cette aura de plafonnIer De toilettes d’autoroute. On est malvoyante mais on est sensible à ce genre de détail, c’est curieux n’est-ce pas. De toute façon j’avais pas sommeil.

Je me suis approchée de la fenêtre pour observer le Kremlin-Bicêtre de nuit mais je n’ai rien vu (en même temps j’ai un gros scotome central).

La balade dans les couloirs était exclue, je risquais de me perdre et j’avais pas envie de me faire courir après par l’aide-soignante.

Bn bon bon.

Tica-tac, tic-tac, les heures tournent.

J’ai monté le dossier de mon lit électrique, puis je l’ai rabaissé, puis remonté. C’était rigolo mais pas plus confortable.

J’ai fini par m’endormir au milieu de la nuit.

Mon père est venu me réveiller tôt le matin pour mon scanner.

La lumière du soleil avait remplacé celle du néon de placard à pharmacie.

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