Polyglote

J’ai vécu les premières années de ma vie en voyant et en entendant (a priori) normalement. S’il avait été relativement aisé de s’adapter à la malvoyance (arrivée en 2017) c’était bien moins le cas pour la surdité (arrivée en 2020) et par défaut à la surdicécité; notamment en terme de communication.

Vivant seule depuis près d’un an et n’ayant dans mon entourage que des entendants-voyants j’avais principalement une modalité de communication orale. On me parlait à l’oral, quand ça coinçait trop on passait par écrit (soit dans la main soit via le téléphone) et moi je répondais à l’oral.


Mon amie SourdAveugle (au passage « SourdAveugle » c’est un peu un mot fourre-tout car chacun a un degré différent de cécité et de surdité. Par exemple ma copine et moi n’avons pas la même pathologie et notre surdicécité à l’une et l’autre ne s’exprime pas tout à fait pareil) est implantée cochléaire. Elle comprend bien mieux avec un seul implant que moi avec deux. Ce sont les aléas de l’implant.

Quand elle est venue me chercher à la gare elle le portait. Pour communiquer avec elle je suis d’abord restée à l’oral (ce que je connaissais en fait, la zone de confort pas confrrtable).

À savoir que mon amie parle la Langue des Signes (la française et l’américaine, peut-être même une autre je ne sais pas) et reviens d’un long séjour aux États-unis où elle a suivi une formation sur le protactile.

Elle a d’emblée mis les pieds dans le plat (en protactile on dirait mettre les mains dans l’assiette ha ha ha, haaaaa que je suis seule dans ma tête…) en utilisant une écriture furtive braille avec moi. Sachez que de base je suis une grosse bouse en écriture furtive « classique » donc là j’ai d’abord pensé: « Ohlalalala », mais il s’avère finalement que c’est pas dur et peut-être même/e plus rapide en braille qu’en « classique (OUI JE L’AI DÉJÀ DIT). „

Le lendemain elle m’a proposé d’être en « co-présence », c’est-à-dire qu’il fallait que la modalité de communication entre nous soit la même. C’est ce qu’on appelle la réciprocité. Pas d’oral donc et du tactile. On s’est mise à communiquer en écriture furtive braille en LSF et en protactile (bon on va pas se mentir, mes signes sont encore moches voire approximatifs dans le placement des doigts. Ma syntaxe est quant à elle inexistente).


Le compagnon de mon amie est un pont. Pas un pont dAvignon mais un entendant-voyant qui a une communication SourdAveugle. C’est comme cette interprète en LSF que j’avais un jour rencontrée et qui était brailliste. Elle n’était pas déficiente visuelle mais avait appris le braille pour écrire à ses amis DV. Les ponts pour moi ce sont des personnes qui modifient pas mal leurs modalités de communication et qui diversifient leurs façon d’échanger sans être directement touchés par le handicap. Je suis pas sûre que les ponts seraient d’accords que je les appelle comme ça ou peut-être trouveraient que c’est normal de s’adapter, mais c’est trèèèèès loin d’être inné.

Donc, mon amie est en couple avec un pont. Qui fait le pont entre la surdicécité et sa non-surdicécité. Ainsi font-font-font les petites marionnettes. J’espère que vous me suivez.

Chose intéressante, au départ je lui répondais à l’oral. Il m’a ensuite dit qu’il préférait une communication tactile dans les deux sens (la réciprocité, vous vous souvenez). Donc j’ai arrêté de parler à l’oral. et j’ai essayé d’aller moins vite en écriture furtive braille, parce qu’apparement j’avais priss un bon petit rythme avec mon amie mais c’était moins évident pour lui.


Ce qui est drôle c’est que la communication est difficile avec les sourds. Du moins, j’ai davantage de mal à me faire comprendre.

D’une part car le protactile et la LSF sont différents. Le protactile n’était pas connu des sourds-signants que j’ai rencontrés. Ma LSF est visuellement dégueulasse et il m’est arrivée de confondre quelques signes entre eux( . Par exemple, j’ai voulu dire « Je suis désolée » et à la place j’ai dit « Je suis contente » (c’est comme de vouloir s’excuser après avoir tapé quelqu’un mais tout ce que vous arrivez à dire c’est « Dans ta gueule! ») Il y a des quiproquos.

D’autre part je dois perdre un peu les gens aussi car quand je n’arrive pas à m’exprimer en LSF ou que je ne comprends pas leurs signes j’essaye d’écrire dans leur main mais ça ne marche pas mieux. Tel un gros bourdon je vole d’une fleur à l’autre dans l’espoir de, de j’en sais rien en fait. C’est compliqué.

Pour vous donner l’image même si le mot n’est pas bon (bah tiens, ça devient une habitude) parfois devant toutes ces mains qui s’agitent je me sens un peu analphabète. * C’est le métier qui rentre j’imagine, car en soi j’ai appris plusieurs signes. Bon j’ai confondu « café » avec « escargot; », mais tout de même: je suis presque bilingue maintenant.

* J’ai rédigé mon article durant mon séjour à toulouse et je le relis un peu après mon retour sur Paris. Par rapport au terme analphabète: un soir lors d’une discussion avec ma copine je lui ai dit ressent^r un manque du mot, comme si je voulais parler mais rien ne sortait de ma bouche (de mes mains pour le coup). En y réfléchissant elle a dit que ça lui faisait penser à de l’aphasie. Je trouve cette réflexion intéressante alors je la pose ici.


J’avais des restes de communication entendante. Souvent j’essayais de passer par l’oral avec les autres en les laissant parler même si parfois (SOUVENT) leurs mots se perdaient dans les limbes de mon nerf auditif.

Il m’est arrivée plusieurs fois de faire répéter ou de ne pas comprendre ce que l’autre disait et je voyais bien que ça provoquait chez elle/lui de la frustration et de l’agacement. J’avoue que je le prenais pour moi et ça me faisait beaucoup de peine de voir l’autre s’énerver en face. C’est désagréable même/e si je comprends que ça soit frustrant.


Ce séjour chez mon amie SourdAveugle me fait cogiter sur ma façon de communiquer. Je pense qu’il va falloir la repenser et la redéfinir dans mon quotidien.

Dégager un peu l’oral pour faire plus de place au tactile. Car là je réalise que j’ai (trop) pris d’habitudes de sourde-entendante que ce soit avec mes proches, mes commerçants habituels, mes praticiens ou mes profs. Et c’est pas bon.

C’est usant car ça marche mal. Du style je demande un truc à l’oral, on me répond à l’oral, je répète/demande une confirmation à l’oral pour être certaine d’avoir compris. Et même parfois en faisant ça je comprends de travers (cf la fois où j’ai commencé à partir de la boulangerie avec mon pain sous le brs alors que le paiement^ n’était pas passé).

Le monde est vaste.

Ce qui est paradoxal c’est que le propre de la surdicécité c’est de « limiter la communication » et pourtant quand on est SourdAveugle on doit diversifier ses modalités de communication et on en a peut-être même plus que si on ne l’était pas.

Trois petits tours et puis ;’´n vont.

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