Aujourd’hui c’est la journée mondiale de la surdicécité. Pour l’occasion je voulais écrire un petit billet sur ma propre perception de la surdicécité qui a un peu changé en 1 an.
Déjà je pense que mon séjour en mars chez Gary (je sais, vous n’en pouvez plus de voir son nom) et ma découverte de la communication tactile ont joué un grand rôle.
Je pense en effet que j’étais restée dans une configuration très entendante malgré mes résultats lamentables en intelligibilité avec les implants cochléaires. C’est un ensemble de choses qui font que, mais grosso modo ma communication se faisait principalement à l’oral: j’oralisais et en retour on oralisait (même si ma compréhension était très laborieuse et qu’on passait finalement par écrit).
J’étais donc restée dans un shéma auditif, peut-être parce que c’est ce que j’avais toujours connu, peut-être parce que c’est ce qui plaisait/rassurait mon entourage, en tout cas j’étais « bloquée » dans quelque chose qui ne m’allait plus.
Aujourd’hui, s’il m’arrive de répondre à l’oral j’essaye de ne plus réagir lorsque mon interlocuteur ou mon interlocutrice oralise. Même si je comprends deux ou trois choses qu’il ou elle dit. Parce que ça induit les gens en erreur.
Si je « comprends » quelque chose en face on se dit: « Chouette, elle entend! » mais du coup il n’y a pas d’effort de fait pour adapter sa communication. Je conçois qu’en face ça peut être très difficile de sortir des sentiers battus et que c’est plus réconfortant de rester dans quelque chose de « normal ».
Sauf que lorsque je joue la carte de la normalité avec mes IC je souffre. Parce que je ne vois pas les traits de la personne en face et donc je ne peux pas me représenter clairement son état d’esprit. Parce que j’ai la pression pour comprendre alors que ça ne marche pas. Parce que, oui j’avoue, je déteste avoir à me concentrer de toutes mes forces pour au final ne rien capter ou presque. C’est frustrant. C’est mentalement douloureux.
Quand on passe un appel vidéo sur Skype et que l’image saute toutes les deux secondes et que le micro grésille on a juste envie de claquer le PC contre un mur. Non ta gueule, écris-moi ce que tu as à dire et ta gueule, merci.
Voilà pourquoi je n’ai plus envie qu’on oralise avec moi. À la rigueur, un tout petit peu quand il s’agit de mes proches. Ça peut dépanner. Et parfo^s je comprends très bien quelques mots dans ue phrase (elle est ptdr cette ligne, on dirait que c’est quelque chose d’incroyable que je pourrais mettre sur men CV alors qu’en fait c’est supra naze).
Après j’avoue que ce n’est pas évident pour moi non plus de revenir sur ce comportement, notament avec certaines personnes qui ont été « habituées » à oraliser avec mes IC.
Mais je ne réagis pluses quand j’entends des « Madame! Maadame! » parce que c’est à moi à la boulangerie.
j’intègre que ma voix est un outil. Je peux m’en servir pour parler ou non. La voix, les implants cochléaires, l’écriture furtive, le téléphone/la plage braille sont des outils. Libre à moi de décider quand je veux m’en servir, avec qui et comment.
Je note toutefo^s que c’est à moi de mener la danse et de proposer ces outils pour communiquer sinon la personne à qui je parle peut être larguée et ça devient la fête du slip.
Je pense aussi que j’ai une vision globale de la surdicécité à présent.
Avant je dissociais facilement la surdité de la malvoyance. La vue et l’ouïe ce sont deux sens différents, et puis moi j’ai perdu la vue en premier donc je m’étais un peu plus faite à ce handicap.
Or maintenant je vois vraiment la surdicécité comme un tout. Surdité et cécité vont ensemble. Il n’y a pas de « choix ». Les deux sont presque complémentaires.
Là je me dis que ce que je raconte doit être un peu effrayant. J’ai toujours en tête le fameux jeu du « Tu préfères » où l’on oppose surdité et cécité. Je ne préfère ni l’un ni l’autre, je suis l’un et l’autre. C’est bizarre mais c’est comme ça.
Ces deux particularités qui en forment une grosse je ne les camoufle pas suivant le contexte. Ça fait partie de moi: je ne suis pas « que » déficiente visuelle ou « que » déficiente auditive.
Ça bouscule un peu les représentations mentales que les gens se font de ces handicaps sensoriels.
Au passage, je déteste le mot « polyhandicap ».
À chaque fois que j’ai le fameux bilan annuel des impbants cochléaires on me demande si j’ai l’impression que « ça s’est dégradé ». Et comme ma vue a également bien baissé depuis le début de ma perte auditive j’imagine que d’ici 10 ans je ne serais plus dans le même état visuel et auditif qu’aujourd’hui.
Franchement ça ne m’inquiète pas.
Avoir une conception du monde davantage tactile ça renverse un peu la vapeur vis-à-vis des personnes non-SourdAveugles. D’un coup on reprend sa place et on arrête de se tasser pour essayer de rentrer comme on peut dans un moule dans lequel on ne rentre plus.
Alors oui, le tactile c’est étrange, on a pas trop l’habitude, on a même tendance à brider ce sens car « ça se fait pas de toucher les choses ».
Et c’est dommage.
L’expérience est tellement plus intéressante quand on fait attention au toucher.