J’ai publié ce texte sur mon profil Facebook le 25 janvier 2021, pour donner des nouvelles à mes contacts après plus de 3 mois de silence radio. Je l’ai relu mardi dernier grâce à la fonctionnalité « Souvenirs » de Facebook qui vous montre vos publications partagées les années précédentes à la même date. Je l’ai relu, et j’ai trouvé ma plume si cristalline que j’ai décidé de le publier ici; non c’est faux ce torchon est bourré de fautes d’orthographe, de fautes de frappe et autre humour à deux francs six sous. Néanmoins je trouvais intéressant de vous le partager, c’est un peu comme une archive de l’arrivée de ma surdité. À l’époque je comprenais encore un peu la parole (très laborieusement), mon équipe ORL ne m’avait pas encore proposé l’implant cochléaire et je n’avais pas encore de plage braille. Je sais que j’ai été un moment presque totalement coupée du monde (que ce soit en terme de perception, de communication, d’occupation…) mais cette période est devenue abstrait dans ma tête. Relire ces mots m’a replongée là-dedans. Je vous partage donc ce « témoignage » en provenance du passé, en espérant qu’il vous plaira. Quoi que s’il ne vous plaît pas c’est pareil. Bon. Puisse sa lecture vous occuper quelques minutes, voilà. Dernière chose avant de vous laisser plonger dans mon brouillard brumeux: je n’ai absolument pas retouché mon texte. Je vous le partage brut, tel que je l’ai écrit. Ne soyez pas surpris par les nombreuses coquilles, les mots écrits deux fois à la suite et les phrases incomplètes. C’est expliqué dans mon texte, j’ai tapé ça sur mon ordinateur comme je pouvais et la synthèse vocale (ma compréhension de cette dernière) rendait impossible la relecture. Préparez-vous à saigner de la rétine. Ah, et à un moment j’ai écrit « rétroactif » au lieu de « rétrospectif »: c’est ce qui arrive quand on passe trop de temps avec la MDPH et la CAF.
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FDXR
« tu préfères être sourde ou aveugle? », m’avait-on demandé dans un jeu d’enfants stupide. J’avais répondu: « Oh je sais pas je… » et le destin avait tranché: « Bah ça sera les deux, allez vlan mange mon genou ». C’était écrit dans le marbre, ou plutôt dans mon ADN. Il y a eu un bug dans la matrice, la machine va marcher correctement les 15-20 premières années avant de s’enrayer.
Quatre lettres. Four-letters word, sauf que ça n’a rien d’un gros mot. Ça n’a rien d’un mot non plus d’ailleurs. Je sais pas comment ils donnent leur nom aux gènes, les chercheurs, mais ça ressemble à des sigles. FDXR, on dirait qu’ils savaient pas quoi choisir entre une insulte, « je me marre » et une chanson de Flo Rida et Sage the Gemini. FDXR, c’est le nom du gène malade. J’ai deux mutations sur ce gène qui sont responsables de ma surdicécité. Je vous épargne les détails parce que c’est franchement dur à comprendre. Pour preuve, mon chirurgien ORL qui a reçu les résultats m’a dit: « fFudra que tu reviennes me poser tes questions plus tard, parce que même moi je comprends pas tout ». Et il a un doctorat de médecine vous savez.
Bonne nuit Planplan
C’était le soir, j’avais pris ma douche, j’était en pyjamas. Manille était déjà en train de ronfler sur son pouf, bref c’était l’heure d’aller se coucher. Je me suis dirigée vers la paillasse de la cuisine, là où trône un drôle de chargeur plat depuis des mois. J’ai porté la main à mes cheveux, défait la petite pince en fer, et tout en gardant une prise sur celle-ci et le fil en nylon auquel elle est reliée, j’ai enlevé mon processeur et l’ai mis à charger. Et je ne sais pas pourquoi j’ai phasé sur ce geste.
J’ai réalisé que, a priori, cette « routine » j’allais l’avoir toute ma vie. Ça prend vraiment quelques secondes pour retirer l’attache de sureté puis Planplan (si vous n’aviez pas compris, c’est le surnom ridicule que j’ai donné à mon processeur, parce que j’aime rire). Et hop black out, on coupe le courant. Je ne dirais pas que je « retourne dans le monde du silence ». Déjà parce que j’aime pas cette expression, je la trouve un peu péjorative et assez angoissante. Je comprends ce que les gens entendent par cette expression, surtout quand ces personnes sont devenues sourdes (et t’as vu j’ai utilisé l’expression « entendre » pour parler de surdité, et le monde n’a pas explosé). Je vois ce que c’est censé représenter, mais je sais pas il y a quelque chose qui me chiffonne avec cette métaphore. Bon. Ensuite je ne l’utiliserais pas pour la simple et bonne raison qu’avec les acouphènes que je me paye, le silence je peux me le rouler et me le mettre derrière l’oreille (mais que de calembours aujourd’hui!!). Tout ça pour dire que je suis constamment dans le bruit. Et je perçois encore certains sons de l’oreille gauche. Ça ne me permettrait pas de suivre un débat sur l’Islande en France, disons plutôt que je devine qu’Eren est en train de regarder une vidéo ou de rager sur son jeu dans le lit.
Comment t’entends avec l’implant?
Avant de commencer cet article, je voudrais dire merci aux personnes qui m’ont posée des questions sur ce que je vivais actuellement. La curiosité tant qu’elle est bienveillante est une bien belle qualité. Je suis toujours contente de répondre à des questions, de partager mon expérience et ma « perception du monde » en quelque sorte. C’est chouette de poser des questions, de demander pourquoi, de chercher à comprendre et à sortir de ses propres pompes. Merci de me lire et de poser des questions!
Aujourd’hui je vais essayer d’expliquer comment j’entends avec mon implant (j’avais dit que je le ferai dans mon article sur L’audiolink). C’est difficile pour moi d’y répondre pour plusieurs raisons. Déjà, je n’en suis qu’à 4 mois de mon activation. J’en ai pas encore fini avec la rééducation, et à chacun de mes réglages je peux percevoir les choses différemment. C’est d’ailleurs ce que m’a dit mon orthophoniste dernièrement, « le travail avec l’implant c’est pas en ligne droite ». Un jour je comprendrais assez bien ce que vous direz et la semaine d’après ça sera compliqué, et c’est normal. Ça varie, surtout que je suis encore en train de m’habituer à mon implant. Il y a des jours où je suis fatiguée, stressée, pas dans mon assiette et ça joue sur ma compréhension. Ainsi que la taille de la pièce. Ainsi que le bruit environnant. Ainsi que l’alignement des planètes. Ensuite, chacun réagit différemment à l’implant donc je ne peux pas (et ne veux pas) parler au nom de toutes les personnes implantées. Mais je vais essayer de vous expliquer comment ça se passe pour moi.
Rapport au corps malade
Un sujet que j’aimerais beaucoup aborder depuis un moment, c’est celui du rapport au corps lorsqu’il devient malade. C’est quelque chose que j’ai expérimenté l’an dernier. Mon corps a commencé à me « faire défaut », à ne plus fonctionner correctement. Alors qu’il n’avait que 22 ans, ce corps est devenu un problème. Forcément, ça a eu des répercussions sur mon bien-être psychique: il est devenu source d’inquiétudes, d’incompréhensions, de peurs, de frustrations, de colère aussi. Un corps, ça vous porte; là c’est moi qui le portais à bout de bras. Il est devenu lourd, encombrant, gênant.
Il a arrêté de m’appartenir par moments, puisqu’il a fallu le confier au corps médical (oui c’est marrant). On a commencé à le scruter, l’étudier, le toucher, lui faire des prélèvements, le scanner, enregistrer ses réactions. Certes c’était nécessaire et c’était pour mon bien, quoi qu’il en soit j’ai dû me détacher de lui à bien des moments. Je le détestais pas, c’était pas de sa faute non plus. On ne se rend pas compte à quel point tout est réglé comme du papier à musique, le moindre petit grain de sable peut venir enrayer la machine.
Mon corps, je l’ai un peu oublié et mis de côté. J’ai commencé à beaucoup dormir en journée. D’une part, j’allais mal et je n’avais plus d’énergie. Ensuite, dormir c’était un moyen de passer le temps. Dormir, ça voulait dire rêver: dans mes rêves je n’étais pas malade, j’allait bien. Dormir, ça permettait de se couper de la réalité, de faire un break. Ce corps, j’ai arrêté de l’habiter momentanément. J’ai essayé de le quitter, mais ça ne marche pas comme ça.
J’ai de vieux comportements pourris qui ont refait surface. J’ai eu des pulsions auto-agressives, parfois juste des idées et parfois des pertes totales de contrôle. Ce corps, je lui ai fait du mal directement ou indirectem. C’était de la colère et du mal-être, c’était pas forcément contre lui. Pourtant c’est à lui que je m’en suis pris.
On s’est un peu désolidarisés lui et moi. Sauf qu’en fait, lui et moi on ne fait qu’un, pour le meilleur et pour le pire. Ça m’a pris du temps d’arrêter de nous flageller. Je crains encore souvent qu’il ne me réserve d’autres (mauvaises) surprises, mais j’essaye quand même de voir ses bons côtés. Il a beau être un peu défaillant sur les bords, bah il marche. Il s’adapte, il crée de nouvelles connexions, il « s’actualise ». Rien que pour ça, il mérite d’être pris en considération.
Remercier son corps, prendre soin de lui, même quand (surtout quand) il en fait des siennes. Malgré son état qui se dégradait, et malgré mes « épisodes auto-agressifs », j’ai commencé à y faire un peu plus attention et à me recentrer sur lui. C’est venu petit-à-petit, par des gestes assez anodins finalement: j’ai commencé à avoir une « routine beauté ». Pas grand chose, juste m’accorder quelques minutes par jour pour me chouchouter. Non seulement elle m’a fait du bien physiquement cette routine, mais aussi psychologiquement. Mon corps m’appartenais à nouveau. Même si la journée avait été horrible, pendant quelques minutes je me reconnectais à lui. Ça m’a aussi permis de comprendre que même avec deux sens en moins, je pouvais continuer à percevoir le monde, différemment. Mon corps et moi, on allait continuer à exister malgré la maladie. Il fallait continuer à faire équipe, à prendre soin l’un de l’autre.
C’est un peu évident comme constat, mais prendre soin de soi c’est importent. Se ré-approprier un corps malade, c’est essentiel. Ça demande de la patience et des efforts c’est vrai. Un corps on n’en a qu’un: on ne le choisi pas, il peut tomber en panne ou nous jouer des tours; on est lié à lui le temps d’une vie et il faut apprendre à cohabiter ensemble.