Quiproquo encresque

J’ai un tatouage de fumée sur l’avant-bras droit. Plus précisément, j’ai 8 bandes/volutes de fumée qui vont du bas de l’avant-bras à un peu en dessous du poignet. Les gens remarquent souvent cette pièce et me font des compliments à son sujet. Moi ça me fait rire car derrière ce tatouage il y a un énorme quiproquo, sans doute le plus grave et le moins drôle de ma vie (sur le coup).

En effet, la tatoueuse et moi ne nous sommes absolument pas comprises. J’avais en tête l’image d’une fumée très opaque mangeant l’intégralité de ma peau. Or le jour J la tatoueuse m’a présenté le dessin qu’elle avait réalisé et qui n’avait RIEN à voir avec mon idée de base, à savoir une seule petite volute de fumée qu’elle pensait faire un peu tourner autour de l’avant-bras. Horreur et damnation. Le monde s’est littéralement écroulé sous mes pieds. Mais qu’allons nous faire?! J’ai eu envie de me rouler par terre ou de partir à toutes jambes en hurlant: « En fait j’ai changé d’avis, saluuut! ».

La tatoueuse a trouvé un compromis et est allée préparer d’autres calques (dans le jargon ça s’appelle stencil) de volutes de fumée.

Voilà un petit bout de l’histoire de la pièce que j’ai sur le bras. Ce n’est pas du tout l’idée que j’avais en tête mais finalement je l’aime bien comme ça.

Révélation explosive

L’autre jour alors que je suis en train de lire un conte de Noël (pour les chroniques littéraire de ce blog, en plus)…

Le livre: Ils étaient quatre; tous quatre originaires du faubourg Antoine, ce volcan aujourd’hui éteint qui, jadis, à intervalles presque réguliers, vomissait sur Paris…

Moi: Quoi! Il y a eu un volcan à Paris! Et je l’ignorais depuis tout ce temps!

Le livre: …des torrents de lave révolutionnaire.

Moi, déçue: Ah.

Pour vos prochaines vacances n’hésitez plus: l’Auvergne ^’est surfait, venez plutôt découvrir les volcans d’île-de-France et venez faire de la spéléologie dans le faubourg Antoine. Souvenirs inoubliables garantis!

Balance ton pain viennois

L’autre jour, alors que je sortais de chez ma psy à l’heure du goûter, j’ai décidé de passer à la boulangerie m’acheter une viennoise (ma préférence à moiii comme le chante si bien Julien Clerc).

Déjà en arrivant devant l’enseigne Manille a voulu me faire passer par les portes de sortie.

– L’autre porte Manille! ai-je dit joyeusement.

Manille a bifurqué vers la porte d’entrée qui était déjà ouverte.

– Oui, c’est bien! ai-je dit avec une voix difficilement descriptible (mais c’était ridicule).

Il y avait quelques personnes devant moi.

– Eh! Arrête! ai-je rouspété après Manille qui reniflait avec entrain le bac à glaces, en la regardant de travers (pour de vrai) et en lui faisant ma ride du lion.

En me retournant vers la file j’ai vu que les clients devant moi avaient bien avancé. J’ai donc rattrapé mon retard en faisant de discrets pas chassés (et en tirant sur la laisse en mode « tu vas laisser ce bac à glaces oui?! »).

Vous savez, j’ai un scotome central donc je regarde sur les côtés. Ainsi, souvent les gens me regardent en pensant sans doute que je ne les vois pas ou que je regarde à côté alors que c’est eux que je fixe. (Je dis ça mais j’espère que c’est ce que tout le monde pense sinon je passe pour une grosse malpolie) Il y avait un couple à l’écart de la caisse et j’ai commencé à les observer intriguée.

D’un coup, des cris paniqués m’ont tirée de ma rêverie:

– Madame! Madame!

En fait j’étais tellement occupée à espionner le couple que je n’avais pas vu le client devant moi partir et que c’était mon tour.

– Oh désolée! C’est à moi? Bonjour, il me faudrait une grande viennoise s’il vous plait! ai-je lancé à la boulangère. (Vous avez vu je laisse l’occasion à personne d’en placer une, c’est une savante technique que j’ai mis au point parce que je comprends rien quand les gens parlent sinon

– Chwawawa ou nature? a demandé la boulangère.

– Nature! ai-je répondu, très fière d’avoir déduit qu’elle parlait de chocolat alors que je n’avais absolument rien compris.

Ensuite est arrivé le paiement.

– C’est passé? ai-je demandé en relevant ma carte avec paiement sans contact.

Il m’a semblé que non mais j’ai rien compris de ce qu’elle m’a répondu alors j’ai mis ma viennoise sous mon bras et j’ai tourné les talons en lançant un timide: « Au r’voir! ».

– Madame! Madame!

Encore des cris.

– Oh! C’est pas passé? ai-je demandé.

– Non! a répondu la boulangère.

– Ouhla je suis désolée, c’est compliqué aujourd’hui!

C’est la phrase que je sors à chaque fois que ça coince et que je comprends pas très bien mais si j’étais tout à fait franche je la terminerais par: « …comme tous les autres jours en fait. ».

Wonder Manille

Manille m’a été remise avant ma surdité. À ce titre elle na reçu qu’une formation de chien guide, pas de chien écouteur. Elle a vécu ma perte auditive avec moi.

L’autre jour une éducatrice de son école nous a fait une visite à domicile. La retraite étant prévue d’ici 3 ans et le suivi gériatrique commençant l’année prochaine (ça s’appelle vraiment comme ça) pour la chienne, on a commencé à parler de « l’après-Manille ».

– Après Manille il faudra un chien vraiment extraordinaire, me confie l’éducatrice.

Moi à ces mots j’ai commencé à sourire comme une andouille en pensant: « Ça c’est vrai, elle est tellement géniale Manille! Elle a placé la barre vraiment haute ». En fait c’est pas du tout ce qu’elle était en train d’insinuer, elle elle faisait référence à la double casquette guide-écouteur que devra avoir le chien.

Je suis un peu à l’ouest des fois. Enfin je maintiens quand même. Que Manille est extraordinaire, d’ailleurs je vous invite à liker et partager cet article afin que tout le monde sache que c’est le meilleur labrador de la Terre entière.

Rééducation roulante

L’autre jour en rééducation, alors que l’orthophoniste me donnait des noms de moyens de transports, à la place de « camion » j’ai compris « caddie ». J’ai dû me mordre la langue pour m’empêcher de rire car je me suis instantanément imaginée en train de me déplacer à bord d’un caddie de supermarché.

Souvenirs D’EHPAD #6 : atelier poste

Un jour, alors qu’il allait y avoir l’atelier boxe, j’ai étée chargée d’aller chercher Madame Feuille dans sa chambre. Madame Feuille avait une DMLA et était très sourde. Elle avait des appareils auditifs mais elle ne devait pas les porter dans sa chambre.

– Madame feuille vous venez, il y a l’atelier boxe, ai-je dit.

– Comment? m’a-t’elle répondu.

– Il y a l’atelier boxe.

– Hein?

– L’atelier boxe!

– Quoi?

– La boxe!

À ce moment-là j’ai pris une grosse voix pour que la dame m’entende. Il s’agissait pas de crier (quoiqu’on n’en était pas loin) mais de prendre la voix la plus grave possible.

– La boxe!

– La poste?

– Non, la bo-xe!

– La poste?

– Bo-xe!

– Poste?

Ma cheffe est passée dans le couloir et s’est marrée en nous entendant.

– IL Y A LA BOXE!

– Heu. La poste?

– LA BOXE!

– La poste?

– BO-XEUH!

– La poste?

Elle était aussi bouchée que moi maintenant putain.

– BOOOO-XEUUUH, BOXER! ai-je dit en lui boxant (doucement hein) le bras.

– Ah! La boxe?

– Ooouuuiii!

Mais l’an chon quoi

L‘autre jour pendant la rééducation Manille s’est mise à pleurer. Sans doute qu’elle n’en pouvait plus parce que L’orthophoniste avait répété 15 fois le nom de Joël Machin, célèbre monsieur qui a une marque de trucs dans les supermarchés, mais qu’à chaque fois je comprenais Jean-Luc Mélenchon.

Pourquoi « Il Est Quelle Heure »?

Je rêve qu’on me pose cette question depuis la création de ce blog mais ça n’arrive jamais (les fois où je vous ai dit que le nom du blog avait un sens et que vous avez voulu savoir lequel ne comptent pas, bande d tricheurs). J’imagine que c’est la banalité de la phrase, une question utilisée couramment bien qu’elle soit incorrecte. En effet, on demande: « Qu’elle heure est-t’il? » et pas: « Il est quelle heure? ». J’aurais aimé que mon grand-père voit ça, lui qui m’avait fait savoir, l’air fort renfrogné, qu’on ne dit pas « je me rappelle » mais « je me souviens », et « ça me rappelle qu’on dit je me souviens ».

Il est quelle heure c’est pas franchement original à première vue pourtant il y a bien une anecdote derrière le nom de mon blog. Je ne m’attendais pas à perdre la vue, encore moins à perdre l’ouïe. Je pense que c’est le genre d’évènement qui surprend tout le monde. En fait j’ai été diagnostiquée d’une rétinite pigmentaire à mes 14-15 ans, je connaissais donc un peu l’issue du truc. C’est tombé quand même très tôt puisque j’ai perdu une bonne partie de ma vue l’été de mes 19 ans. Ensuite, et c’était bien plus impromptu, j’ai perdu l’ouïe à partir de 2020. Je me revois dire à mon collègue de service civique: « Tiens c’est bizarre, quand je me bouche l’oreille gauche je t’entends pas parler de l’oreille droite! ». Mais le Dr Chorizo, le premier ORL que j’avais consulté, m’avait dit que mon audition était parfaitement normale et m’avait traitée d’idiote car à l’époque j’avais un piercing dans le nez (je pose ça là comme ça, parce que l’idiot dans l’histoire c’est lui qui se croyait intelligent avec sa condescendance et ses beaux diplômes, non je rage pas). Toujours est-il qu’en fait j’avais un syndrome de neuropathie auditive-atrophie optique. Devenir SourdAveugle était mon destin puisque c’était littéralement inscrit dans mes gènes.

Si je vous demande de me citer des personnalités ou personnages aveugles ou malvoyants, vous viendront peut-être Ray Charles, Gilbert Montagné (que ma Tata Clown déteste, coucou Tata), Stevie Wondeur, Vincent Vinel et Jane Constance de The Voice et The Voice Kids, Apl.de.ap, Mama Odie, Claude Monet, Daredevil, Mary Ingalls, Carlos Solis (si.).

Un peu plus difficile: comme personnalités ou personnages sourds ou malentendants, vous viendront peut-être Beethoven, Sophie Vouzelaud, le professeur Tournesol, Hoshi, Blue Ears (à chaque fois je suis tentée de rajouter Bernardo dans Zorro mais le type est muet, pas sourd).

Maintenant si je vous demande une personnalité ou un personnage SourdAveugle, il ya de grosses chances pour que rien ne vous vienne. En tout cas, moi quand je suis devenue SourdAveugle je n’avais aucune « référence » en tête. Sauf peut-être’Helen Keller, dont j’avais un jour lointain lu la biographie. C’était un livre que m’avait prêté un copain, un roman jeunesse avec des mains faisant des signes sur une couverture orange. Il racontait l’histoire d’une grande auteure engagée américaine devenue sourde, aveugle et muette toute petite. Bref, personnellement j’avais pas beaucoup d’exemples sous le coude en terme de surdicécité. À la rigueur il y a unń attaque dans Les chevaliers du zodiaque qui vous prend la vue et l’ouïe, mais elle vous prend aussi d’autres sens donc ça compte pas. De toute façon je connais pas Les chevaliers du zodiaque (au début, quand j’essayais de me souvenir de ce dessin animé pour l’article, j’ai failli écrire « Les chevaliers du ciel »).

La surdicécité a l’air d’une association tellement improbable. D’ailleurs on oppose souvent la vue et l’ouïe au jeu du « Tu préfères ».

La réponse à la grande question

L’anecdote du nom du blog remonte au début de ma perte auditive. À ce moment-là j’entends encore mais je comprends de plus en plus mal. Il faut me parler près, doucement, sans crier (elle est marrante celle-là parce que lorsque vous dites que vous êtes sourde les gens se mettent à gueuler), en articulant bien. Ça commence à devenir bien critique, quoi.

Un jour, je suis pépère dans mon canapé en train de cogiter à la tournure (de merde) que prennent les évènements quand Eren arrive dans le salon et me lance:

– Helen Keller.

Sauf que c’est absolument pas ce que je comprends et je lui réponds:

– Oh je sais pas il est quelle heure, il doit être 11h non?

Le quiproquo le plus à propos de ma vie.

C’est donc ainsi que cette formule est devenue le nom de ce blog. C’en est un bon résumé: essayer de rire de ce qui à première vue n’est pas très drôle. Faire pousser de la magie là où il n’y en a pas. Jeter du multicolore sur le terne. 🎻

Vacances Niévroises #3 : Août 2023 (2/2)

Mercredi matin Maman et moi sommes allées à Emmaûs. Manille est restée à l’appartement avec Nany.

Il y avait plein de choses au rayon robe. J’en ai mis quelques unes de côté et j’ai continué à fouiller.

– Tu en as déjà cinq, m’a dit Maman qui devait commencer à s’inquiéter que je reparte avec tout un portant.

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