Marne, enquête et pâté mystère

J’avais passé un dimanche pluvieux à glander en pyjama pendant que Manille tristement vautrée par terre comptait les poils du tapis. J’avais dit à Eren: « J’emmènerais peut-être Manille au kepar tout à l’heure. » (j’avais dit « parc » en verlan parce que la chienne est à moitié bilingue et connait très bien ce mot, donc faut éviter de le dire devant elle sinon elle devient infernale jusqu’à ce qu’on sorte). La flemme et la pluie avaient finalement eu raison de moi. Du coup hier matin, quand j’ai vu qu’il y avait un beau soleil j’ai décidé de me rattraper et d’emmener Manille se promener sur les bords de Marne l’après-midi. On met beaucoup en avant l’aspect « guidage » du chien guide pourtant ce n’est pas son seul bienfait. Il peut être un facteur non négligeable de « se bouger le cul », et c’est d’autant plus observable quand vous êtes une larve et votre labrador une pile électrique. Vers les coups de 14h30 j’ai mis son harnais de chien guide à Manille et nous sommes parties en direction des bords de Marne.

Au bout de notre rue se trouve un arrêt de bus. C’est un bus que nous prenons souvent et il nous est même arrivé de galoper pour l’attraper. C’était pas le programme d’hier, pourtant Manille a commencé à se diriger vers l’arrêt et a même tapé une légère accélération quand le bus est arrivé. Je lui ai dit qu’on ne prenait pas le bus et l’ai fait contourner l’abri mais elle a essayé de faire un petit demi-tour une fois qu’on l’avait dépassé, l’air de dire: « Heu t’es sûre que tu veux pas le preNdre? T’as bien compris que c’était le bus? Te vexe pas hein mais t’es malvoyante quand même, on sait jamais ». On a continué notre chemin. Quelques mètres plus loin se trouve un autre arrêt de bus. Elle me l’a proposé, des fois que j’aurais changé d’avis entre-temps.

Nous sommes ensuite descendues sur les bords de Marne. Là j’ai sorti ma canne blanche et j’ai retiré son harnais de chien guide à Manille. C’est important pour qu’elle sache que là elle ne travaille pas et peut donc renifler comme bon lui semble. D’ailleurs une fois le harnais retiré je lui dis « renifle! ». J’imagine que je dois passer pour une dingue à dire à mon chien de se faire son rail de sniff, mais je m’en fous. C’est ainsi que nous avons pris un grand bol d’air pur. D’air pur je ne sais pas en fait, parce qu’il y avait la circulation à côté et parce que Manille a passé la balade la tête fourrée dans les buissons à prendre de grandes inspirations. Ça a l’air d’une activité passionnante, elle renifle pendant 20 secondes un endroit, puis se remet à marcher puis OH MON DIEU UN TECKEL EST PASSÉ PAR LÀ elle fait un brusque demi-tour pour revenir sur le pied d’un buisson. Moi je me déplace à la canne en la tenant à la laisse et je peux vous dire que c’est extrêmement pénible de se faire tracter d’un coup en arrière. Faut dire que dans ces moments-là elle a une sacrée force et est comme en transe dans son monde des odeurs. C’est un peu émouvant, ça montre qu’il y a mille et une façons de percevoir le monde et que l’une d’entre-elles consiste à s’extasier sur un jet d’urine de rat. Fabuleux. Manille a donc mené son enquête, remontant la piste vers je ne sais quoi, revenant en arrière par moment la truffe au vent. Puis est venu le moment de regagner le trottoir pour rentrer à la maison. J’ai rangé ma canne, ai remis son harnais à Manille en lui disant « c’est fini ». C’est important pour qu’elle sache que là elle travaille et que c’est pas le moment d’aller sniffer des poteaux pour savoir qui est le malotru qui a pissé dessus.

Nous remontions en direction de la maison lorsque j’ai été prise d’une humeur aventurière (d’une humeur de syndrome pré-menstruel en réalité avec un besoin vital de me calmer les nerfs ainsi que l’envie d’incendier la Terre entière). J’ai décidé que nous partirions en exploration. Partir en exploration dans mon jargon veut simplement dire faire le tour d’un pâté de maison que je ne connais pas. Ça a l’air pourrave comme ça, mais c’est une façon de me faire une cartographie mentale de mon environnement: « vous avez débloqué le pâté numéro 15, félicitations! ». C’est aussi une façon de travailler Manille en douceur. C’est stimulant pour elle, c’est un nouveau lieu avec des obstacles inconus mais c’est pas non plus un parcours du combattant. Elle a un beau port de tête vous savez quand elle guide, elle a l’air fière comme une reine. Moi je suis fière d’elle en tout cas. Nous avons donc pris le chemin du pâté de maisons mystère. Une fois sur celui-ci Manille a de suite proposé un autre passage piéton menant vers les bords-de-Marne. Je ne sais pas si elle souffre de problèmes d’orientation ou si c’était une tentative pour retourner se faire un shoot de buisson, quoi qu’il en soit j’ai décliné l’invitation. Nous avons fait le tour du pâté. Le trottoir est devenu étroit et les branchages dépassant des clôtures fournis. Je me suis dit que les paysagistes de ma ville devaient être en vacances depuis un sacré moment, ou bien en train de se gratter le dos avec leurs sécateurs. Ne faisant qu’un mètre cinquante-neuf et me prenant quand même des branches dans la gueule malgré les effort de ma chienne guide pour me les faire éviter, je me demande comment fait-on pour survivre en milieu urbain en étant un aveugle d’un mètre quatre-vingts. En d’autres termes, soyez sympa svp taillez vos haies.

Nous avons regagné la maison peu avant l’heure du goûter, Manille a pu courir un peu dans le jardin et se rouler dans l’herbe. C’était une bonne petite après-midi. Aujourd’hui il pleut.

2 commentaires

  1. Avatar de Coupin p Coupin p dit :

    Oui s’il vous plaît taillez vos haies et végétaux côté rue !

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