« Au fond je crois que la Terre est ronde pour une seule bonne raison »

Vous écrivez votre autobiographie. Quelle est votre phrase d’introduction ?

« Et le monde continua à tourner. »

En fait c’est curieux car j’oscille entre acceptation (résignation?) et révolte.

J’ai eu mon diagnostic de rétinite pigmentaire à 14-15 ans, j’ai perdu une bonne partie de ma vue à 19, de mon ouïe à 24. J’ai été les fesses dans la rééducation pour les implants cochléaires pendant près de 2 ans et durant ce laps de temps j’ai vu chez le personnel soignant des gens partir à la retraite ou en congé maternité, arriver pour un stage ou pour un poste. Bien. Et moi durant ces deux ans j’apprenais à entendre « Le pain cuit dans le four ».

Récemment j’ai lu dans un bouquin: « On leur avait volé leur avenir » et quelqu’un m’a dit il a quelques semaines: « On m’a volé ma vie ». Ces phrases m’ont fait cogiter. Je n’ai pas le sentiment qu’on m’ait volé quoi que ce soit (une pensée émue à mon t-shirt M. Larbin « Existence is pain »). Cependant on m’a un peu fait miroiter un « idéal d’avenir » à atteindre à l’âge adulte et là je dois lui dire bybye.

L’écart a commencé à se creuser au moment du permis de conduire. C’est quelque chose que j’ai très mal vécu. Mes camarades autour de moi passaient le permis (chouinaient car ohlala c’est dur d’apprendre le code, ptaiiiin) et je devais dire adieu à mon rêve (oui c’en était un). C’est devenu une sorte de traumatisme: j’avais des comportements d’évitement et je pétais les plombs quand j’entendais parler de permis (ce qui était fabuleux c’est que quasiment personne autour de moi semblait comprendre que ce n’était pas juste un caprice de sale gosse de réagir comme ça, une autre raison pour laquelle je déteste le courage car ça met totalement en sourdine ce type d’expériences). Le temps a passé, l’eau a coulé sous les ponts et le goudron sur la route. Je ne sais pas si je suis tout à fait guérie mais ça va un peu mieux avec ce sujet (à un moment quand on se perd dans son propre salon il faut savoir accepter de ne pas avoir passé son permis de conduire).

Aujourd’hui j’ai de nouveaux problèmes de fossé: je vois autour de moi les gens avoir un travail, se marier, fonder une famille. Bon en vrai tout ça ne me concerne pas vraiment. Si je n’étais pas SourdAveugle je ne sais pas si je serais apte au travail car (c’est la partie immergée de l’iceberg) j’ai un truc qui cloche niveau sociabilité. Donc quelque part la situation m’arrange bien. Et moi ça me va très bien que mon travail soit ce blog (même si je ne suis pas rémunérée, snif snif snif). En ce qui concerne le mariage, bon. Si on regarde le taux de divorces je n’ai pas très envie puis il s’agirait de ne pas mettre la charrue avant les boeufs et de se mettre en couple avant de penser corde au cou. Fonder une famille est le plus délicat pour moi. Je ne souhaite pas avoir d’enfants mais j’ai toujours un petit pincement au coeur quand j’apprends que des gens autour de moi vont en avoir. Je pense que cela me renvoie à ce gros changement de trajectoire que j’ai pris plus ou moins volontairement.

Je ne renonce pas à ces trois choses (travail, mariage, famille) à cause de la surdicécité. La semaine prochaine (quel teaser!!!) je vous présenterais le fameux groupe Whatsapp de SourdAveugles sur lequel je suis et les 6 autres membres cochent (ou ont coché) au minimum l’une de ces options. Donc ça ne veux rien dire.

Mais quand même, des fois je me demande s’il n’y a pas un peu eu sabotage.

Après je n’ai pas envie de dire qu’on m’a volé mon avenir ou ma vie car ça voudrait dire que je n’ai pas la main dessus. Certes, il y a eu un paquet de trucs sur lequel je n’ai pas eu la main. Mais pour le reste je peux essayer de faire des choix « pour moi ».

Il y a longtemps j’avais vu un post assez marrant sur Instagram. Il disait: « Ne laissez personne gâcher votre journée. C’est votre journée. Gâchez-la vous-même ».