Dans Borgne to be alive je vous expliquais que ma vue a baissé. C’est un euphémisme. En fait à la fin février Gary est venue chez moi. L’occasion pour moi de constater à quel point je vois moins bien depuis sa visite en octobre.
Le Soir où elle est arrivée je lui avais dit que je viendrais à sa rencontre (elle venant de la gare, moi de mon appartement, il était convenu qu’on se croise sur les bords de Marne). Je suis sortie de ma résidence et au bout de 10 mètres j’ai su que ça allait être difficile.
L’héméralopie (ça veut dire cécité nocturne ou baisse d’acuité visuelle la nuit) et l’un des premiers symptômes de la rétinite pigmentaire. Ayant une rétinite pigmentaire inversée je n’ai jamais été vraiment gênée la nuit (c’est une histoire de cellules photoréceptrices dans les différentes régions de l’oeil). Malgré mon scotome central j’y voyais plutôt bien. Or là ce n’était pas du tout la même limonade: je ne voyais plus que l’éclairage des lampadaires. Je pense que je n’avais pas fait ce constat avant car je suis « trop habituée » à me déplacer avec Manille et souvent sur les mêmes trajets en plus.
J’ai gagné avec difficulté les bords de Marne en cherchant de la canne des indices que je connaissais visuellement, le tout avec parfois des odeurs de tabac ou d’herbe autour de moi donc je n’ai pas dû passer inaperçue. Le pire a été à la remontée d’un passage piéton où j’ai un peu dévié et je ne savais plus où j’étais. Par chance une passante m’a redirigée tel à colin-maillard (et elle m’a suivie un moment malgré mes « Ça va! Merci! » donc ça devait se voir à 10 km que j’étais mal).
Je suis arrivée sur les bords de Marne. J’ai marché droit devant moi et à un moment ma canne a tapé dans un truc. En fait c’était Gary et sa canne. On est reparties vers chez moi et ça a été la fête du slip.
Je ne trouvais plus la sortie. Je ne savais plus où j’étais. Puis j’ai pris un mur dans la tronche et j’ai à peu près su où nous étions. On est reparties en sens inverse et j’ai tapé le rebord du chemin avec ma canne à la recherche non pas de l’ombre jaune (de toute façon je ne voyais que ça, des ombres) mais bien d’un espace vide indiquant un passage piéton. Je vais faire une petite ellipse mais en gros j’étais perdue à un pâté de maison de mon appartement et on a mis près d’1h à rentrer.
Le lendemain le programme était d’aller au parc toutes les 3 avec Manille. En journée, facile! Non, pas facile.
Il suffisait de longer une fois de plus les bords de Marne mais plus longtemps et à un moment il y aurait une espèce de fourche pour aller soit au parc soit au parc (en fait il y en a deux mais moi je voulais aller au premier).
Déjà je nous ai perdues pour trouver le chemin menant au parc. Heu. Le chemin longeant les bords de Marne quoi. Après on a marché en ligne droite un bon moment, c’était facile. Puis ça s’est corsé.
Au bout du chemin menant à la fourche on a tourné à gauche pour aller au parc 1. HOR-RIBLE. On était sur un petit sentier cahoteux style forêt avec d’un côté une pente avec la Marne derrière, de l’autre la désorientation et en face un passage secret menant au fin fond du trou du cul de la Lozère (mes excuses à mes ancêtres pour cette image peu flatteuse que je viens de donner de la Lozère). Comme une grosse con j’ai tourné sur moi-même donc évidemment je ne savais plus d’où on venait.
– Je cherche deux rochers, ai-je dit un peu paniquée à Gary.
En fait ces rochers étaient des repères visuels que j’avais. D’ordinaire j’allais au parc 1 avec Manille et c’est elle qui guidait. Manille, parlons-en.
Elle avait son harnais de chien guide mais je la tenais à la laisse avec ma canne dans l’autre main. Tandis qu’on marchait elle tirait sur sa laisse tel un âne bâté au point où à un moment son collier est passé par-dessus sa tête. « Très bien, elle doit savoir où on est! », ai-je pensé. J’ai pris le guidon du harnais, Manille a fait trois pas puis s’est couchée (s’est lourdement laissée choir parmi les feuilles mortes et les cailloux) en mode « Débrouillez-vous ». En fait elle n’a pas l’habitude de guider deux personnes en même temps.
En plus il a commencé à pleuvoir. J’étais au bout de ma vie. C’était de l’acharnement.
On est remontées vers le haut de la fourche pour prendre le chemin vers le parc 2. Sauf que pareil, j’étais perdue. J ’avais envie de me rouler en boule en pleurant. Vous devez imaginer qu’à cet endroit il y a un chemin vers le parc 1, un chemin vers le parc 2 et un chemin vers un parking. J’étais donc très en PLS.
J’ai fini par demander à Père de venir nous chercher (à l’origine on devait passer chez lui APRÈS être allées au parc 1).
Le lendemain soir rebelote, on a été dans le centre-ville chez un torréfacteur puis dans une pizzeria.
En octobre j’arrivais à distinguer les feux piétons. Sauf qu’on n’est plus en octobre.
Dans la pizzeria je ne voyais que les éclairages au plafond et nos cannes blanches posées contre la fenêtre (en fait ça faisait un gros contraste car dehors il faisait nuit).
Bon du coup à l’issue du séjour de Gary j’ai pris conscience de 2-3 trucs. Ma vue a en effet bien, bien baissé. Mais ce n’est pas dra/atique.
En fait les techniques de locomotion que j’avais apprise s’appuyaient beaucoup sur mon reste visuel et sur les sons. Donc aujourd’hui ça marche moins bien.
Après ce qui m’a aidée c’est la zenitude de Gary. J’en ai déjà un peu parlé ici, j’ai un rapport au temps un peu différent à présent et j’avais pris l’habitude (naze) de me presser pour éviter que certaines personnes râlent parce que j’étais trop lente. Et donc là on a pris le temps. Je me suis sentie réellement encouragée. En fait il faut juste reprendre les bases et accepter de prendre son temps.
Le soir où on a mis 10 plombs à rentrer (par ma faute) on en a discuté.
– Mais t’as pas eu peur? ai-je dit (ou un truc du style, je ne sais plus).
– J’avais confiance, a répondu Gary.
– PARDON???!!!!
Se perdre ensemble et galérer ensemble ça fait partie de l’esprit DeafBlind! Ce fut un honneur pour moi.
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Ptdr moi aussi j’étais honorée (surtout à la fin snif)
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Vous aussi, vous faites des blagues quand le début d’une phrase vous rappelle des paroles ? Je ne peux pas écrire « à la recherche » sans vouloir le suivre avec « de l’Ombre jaune », même si j’ai tout autre chose comme sujet !
Très intéressante cette histoire ! Ça me donne tout genre de questions, comme la façon de communiquer avec l’inconnu dans la rue qui vous a aidé, et comment Manille sait où aller quand c’est un choix de deux parcs.
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Elle était facile celle-là! C’était un clin d’oeil pour vous (et en plus après coup j’ai pensé aux ombres, c’est si pratique). Mais sinon oui je souffre du même mal de la blague des paroles.
J’ai été un peu expéditive (quoique gentille) avec l’inconnue, moi j’ai oralisé mais je ne lui ai pas trop laissé la place de communiquer en retour. Elle m’a réellement remise sur le droit chemin et j’ai dit « merci » mais l’échange n’a pas été plus poussé (je me sentais pressée aussi).
J’aurais été seule avec Manille au moment de la fourche j’aurais dit « à gauche » ou « à droite ». Éventuellement « tu cherches » pour la motiver à trouver les rochers mais ce sont des trajets qu’elle connait bien et elle sait très bien qu’ils mènent au parc donc je n’ai pas grand chose à faire. Dire « à gauche » pour parc 1 ou « à droite » pour parc 2 et elle est limite en pilotage automatique après.
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