Trop pas

L’autre jour j’ai pris le bus avec Terry. À l’aller deux messieurs d’un certain âge ont dit que c’était triste à mon âge d’être aveugle et qu’il faudrait un miracle pour que je retrouve la vue. Au retour, tandis que j’étais assise sur un siège prioritaire, une dame (d’un certain âge elle aussi) a lorgné ma place avec jalousie et a lâché (entre autres) un: « Vous êtes peut-être handicapée, mais ça n’est pas écrit sur votre front ». DU COUP MOI JE NE SAIS PLUS.

Les messieurs n’avaient pas vu mes brassards SURDITÉ/CÉCITÉ, ni mes implants cochléaire (savamment cachés sous un foulard), auquel cas je pense qu’ils auraient été sidérés par la tristesse au point de ne rien dire du tout. La dame quant à elle n’avait pas vu ma canne blanche d’1m50 ni Manille couchée par terre (Manille qui avait passé la journée à jouer au bâton et qui de ce fait était un peu en PLS sur le plancher du bus). Elle voulait s’assoir et avait été aveuglée (HAHAHA) par l’aigreur et ma grosse glacière pour le pique-nique (« Ha, ça va être difficile de vous faire bouger, chargée comme vous êtes »). Évidement c’est Terry qui s’est farcie ces deux réflexions, moi je n’avais rien entendu. Alors quoi?

Le « c’est triste à votre âge d’être aveugle » est en effet très triste car ça veut dire que la personne qui le dit ne voit pas au-delà du handicap, en a une vision réduite et bien stéréotypée. À la rigueur, je peux comprendre qu’on raisonne comme ça quand on ne connait pas MAIS il y a une différence entre le penser et le formuler à voix haute devant la personne concernée. Question de respect et de décence. En plus moi sur le moment je n’étais pas triste d’être aveugle, j’étais préoccupée parce que Terry a le mal des transports (désolée à Terry pour ce niveau de poukave puissance 1000).

Le « vous êtes peut-être handicapée mais j’en doute » il est cruellement drôle. Peut-être aurait-il fallu que je bave en louchant pour avoir l’air plus handicapée que ça.

Que répondre à ces gens? Rien, il n’y a rien à dire, il n’y a rien à faire. À quoi bon? Ces personnes sont campées sur leurs positions (ça craint d’être aveugle et je suis dans mon bon droit car j’ai le golden pass du statut le plus pire tandis que toi t’as pas la tête de l’emploi).

Un matin j’ai été à la MDPH du 93. C’était très rigolo: en fait la salle d’attente était bondée de gens handicapés et tout le monde se croyait prioritaire sur les autres, or personne ne l’était car tout le monde l’était.

Je vais à présent citer un copain à propos d’un problème que je rencontre quotidiennement (et qui, j’avoue, a le don de m’affecter): « On n’éduque pas des cons ».

4 commentaires

  1. Avatar de James Jones James Jones dit :

    La dernière phrase résume tout :
    quelle punchline magnifique !

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  2. Avatar de Solène Oïde Solène Oïde dit :

    Savamment résumé !

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  3. Avatar de Justin Busch Justin Busch dit :

    Que ça fasse mal au cœur ! J’aurais dit que c’était même une attitude très américaine, de chercher la place la plus haute sur la pyramide de plaintes, mais nous le faisons à propos de choses qui ne sont même pas des handicaps.

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  4. Étant dans la grande équipe des handicaps « invisibles ou quasi », ça me rassure (tristement) de savoir que le signe bien distinctif « canne blanche » ne suffit pas à être reconnue handicapée… C’est bien la preuve (de ce ce que je savais déjà) : ce n’est pas que le handicap est invisible, c’est que les gens ne veulent pas le voir.

    Et ma théorie : pour les mêmes gens, quand le handicap devient visible, la personne est effacée.
    Et pour faire écho à ta conclusion, rappelons aussi que « les cons osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnait »…

    (Placer « tristement » et « visible, invisible, voir » dans un commentaire sous cet article, je suis assez fière, j’espère que la performance sera appréciée…)

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