Marne, enquête et pâté mystère

J’avais passé un dimanche pluvieux à glander en pyjama pendant que Manille tristement vautrée par terre comptait les poils du tapis. J’avais dit à Eren: « J’emmènerais peut-être Manille au kepar tout à l’heure. » (j’avais dit « parc » en verlan parce que la chienne est à moitié bilingue et connait très bien ce mot, donc faut éviter de le dire devant elle sinon elle devient infernale jusqu’à ce qu’on sorte). La flemme et la pluie avaient finalement eu raison de moi. Du coup hier matin, quand j’ai vu qu’il y avait un beau soleil j’ai décidé de me rattraper et d’emmener Manille se promener sur les bords de Marne l’après-midi. On met beaucoup en avant l’aspect « guidage » du chien guide pourtant ce n’est pas son seul bienfait. Il peut être un facteur non négligeable de « se bouger le cul », et c’est d’autant plus observable quand vous êtes une larve et votre labrador une pile électrique. Vers les coups de 14h30 j’ai mis son harnais de chien guide à Manille et nous sommes parties en direction des bords de Marne.

Au bout de notre rue se trouve un arrêt de bus. C’est un bus que nous prenons souvent et il nous est même arrivé de galoper pour l’attraper. C’était pas le programme d’hier, pourtant Manille a commencé à se diriger vers l’arrêt et a même tapé une légère accélération quand le bus est arrivé. Je lui ai dit qu’on ne prenait pas le bus et l’ai fait contourner l’abri mais elle a essayé de faire un petit demi-tour une fois qu’on l’avait dépassé, l’air de dire: « Heu t’es sûre que tu veux pas le preNdre? T’as bien compris que c’était le bus? Te vexe pas hein mais t’es malvoyante quand même, on sait jamais ». On a continué notre chemin. Quelques mètres plus loin se trouve un autre arrêt de bus. Elle me l’a proposé, des fois que j’aurais changé d’avis entre-temps.

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L’art de surprendre

Eren commande pour moi un livre en braille de Stephen King. Sont disponibles Sac d’os, Joyland et L’institut.

Moi: Choisis pour moi comme ça j’aurai la surprise.

Eren: Ok Joyland.

Y a quelqu’un qu’a pas saisis le concept de surprise apparement.

Tarte trop fraise

Heure du déjeuner l’autre jour…

eren: Tiens, prends ma tarte aux fraises si tu veux.

Moi: Oh ben t’en veux pas finalement?

Eren: Nan y a trop de fraises.

Effectivement c’est problématique ça…

Je suis mentaliste (non je suis implantée cochléaire et j’ai un audiolink)

Récemment mon orthophoniste m’a fait découvrir l’audiolink, un micro de portée qui transmet le son directement dans mon implant cochléaire. Il peut aider à mieux comprendre lorsqu’on regarde la télé, écoute de la musique, téléphone ou encore parle à quelqu’un dans du bruit… Vous pouvez chuchoter dedans et je vous entends, ça fait un peu science-fiction hein. Le soir même après avoir vu comment l’utiliser, j’ai eu envie de mettre ça en pratique. Eren m’a dit « Je suis en train de rigoler, y a un débat entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélanchon à la télé ». J’ai eu envie de me fendre la poire moi aussi, du coup hop j’ai mis mon audiolink sous la télé. Il faut savoir que pour l’instant je dois me concentrer pas mal pour comprendre suivant la situation, la voix et le débit vocal de la personne. Parce que je perçois mieux les aigus que les graves, j’ai mieux compris Éric Zemmour, sa voix était bien perceptible. Je n’ai absolument pas capté ce que disait Monsieur Mélanchon, mais je crois que c’était parce que sa voix faisait vibrer le meuble-télé et par la même occasion mon audiolink posé dessus (tout une organisation n’est-ce point). Donc j’ai essayé de me focaliser avec une grande attention sur ce que disait Monsieur Zemmour. C’était pas toujours facile de tout suivre et comprendre: j’ai demandé à Eren « Pourquoi Zemmour il pale d’Islande là? » et il m’a répondu « Non pas Islande, Islam ». Ça me paraissait bizarre qu’il parle d’Islande aussi.

Le lendemain Eren a voulu qu’on aille au centre-commercial. Pour y aller, on marche environ 15 minutes puis on prend un RER qui nous dépose pile devant. J’ai de base du mal à comprendre la parole en marchant, et Eren c’est encore pire parce qu’il a la voix grave. Je dois me tourner vers lui processeur en avant, et c’est ni pratique ni confortable. Là du coup, je lui ai donné mon audiolink pour qu’il le porte autour du cou, tel un bling-bling. Il l’a allumé, et le micro rebondissait sur son ventre quand il marchait donc moi dans mon processeur j’entendais « boing. Boing. Boing » chaque fois qu’il faisait un pas. Et puis je ne sais plus par où on a commencé, mais on a commencé à parler: lui dans son talkie-walkie du jour et moi à lui, normal. Je lui ai dit que la veille grâce à cet engin j’avais un peu compris ce que disait Éric Zemmour à la télé. Eren m’a demandé ce qu’il avait dit, « il a dit plein de fois Liberté, Égalité, Fraternité! » j’ai dit fière d’avoir compris, et il m’a répondu « dis-le pas trop fort quand même ». En devenant sourde j’ai commencé à parler un peu fort, peut-être une tentative désespérée pour entendre ma propre voix, chose que l’implant a améliorée. Là entre le bruit des voitures et l’audiolink autour du cou d‘Eren, j’entendais moins bien ma propre voix. Donc Eren a bien fait de me prévenir que je criais, parce que là j’étais partie pour réciter le passage sur « Islande et Islandiste c’est pareil ».

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And the winner is…

Tout à l’heure, alors que je suis en train de survoler mes mails…

Moi: Whaouh Manille est moi on est invitée par la Fédération Française des Associations de Chiens Guides d’Aveugles à leur Webinar du chien guide au quotidien!!!

Eren: C’est une conférence.

Moi: Mais.. Les Webinars c’est pas une cérémonie comme les Oscars? On va pas remettre un prix à Manille?

Eren: Non.

Déception intense.

Samoussa, DBZ et chien de faïence

Quand Eren m’a annoncé que samedi c’était l’anniversaire d’un copain à lui et que sa bande allait au restaurant, j’ai trouvé l’idée sympa. Ensuite il m’a annoncé que j »étais invitée moi aussi, j’ai trouvé l’idée très sympa. Puis je me suis souvenue que j’étais une grosse asociale doublée d’une SourdAveugle en cours de rééducation pour son implant cochléaire, et j’ai trouvé que j’étais dans la merde. J’étais vraiment contente d’être invitée (la première fois en 7 ans de relation avec Eren), ça me ferait plaisir de revoir les copains en question et de voir un peu de monde. Et puis, ce serait une expérience avec mon implant cochléaire: chaque semaine en rééducation, quand mon orthophoniste me demande si j’ai fait quelque chose le week-end et que je réponds « non », c’est pas que j’ai honte d’avoir une vie sociale peu fournie mais sortir de ma zone de confort (ma grotte) et m’entraîner à écouter dans des endroits variés et bruyants ne me ferait pas de mal. Ça c’était la part de moi motivée et impulsive, bien décidée à y aller. Sauf qu’il y avait aussi la part de moi qui a commencé à avoir des palpitations, mal au ventre et envie de se rouler en boule à l’idée d’une sortie en groupe. Une sortie à 7. Il y aura Vegeta (dont c’est l’anniversaire) et sa copine Bulma, San Goku et sa copine Chichi, et Plume une amie de Vegeta. Alors. Je me sens obligée de préciser. Je change les prénoms originaux des personnes parce que je sais pas si elles auraient envie que je les mette ici. Et parce que ça sera peut-être plus simple pour suivre l’histoire. Évidemment je n’ai pas réellement été invitée à l’anniversaire de Vegeta, ça va de soi. Pour en revenir à nos moutons, je connaissais déjà Vegeta, San Goku ainsi que Chichi. Sur l’ensemble des invités, ça n’en faisait que deux que je ne connaissais pas; pourtant l’épreuve paraissait insurmontable. Je déteste les situations de groupe, aller au restaurant me stresse et je ne sais pas comment je vais faire pour arriver à communiquer avec 6 personnes dans un environnement aussi bruyant. Mais je ne me voyais pas refuser, j’avais vraiment envie d’y aller. « On fait comment avec Manille? » m’a demandé Eren. »Bah on la prend » j’ai répondu. »Oui mais c’est un buffet à volonté chinois ». Ah. Les refus de chien guide arrivent encore aujourd’hui dans les restaurants, et dans certains plus que d’autres. Là le problème, c’était pas mon anniversaire, donc si je me faisais recaler à l’entrée ça risquait de plomber la soirée (Vegeta aurait pu raconter qu’une policière était venue à sa soirée, mais qu’elle n’avait rien d’une strip-teaseuse et que c’était pas lui qui avait du lui glisser des billets. Que je suis beauf des fois, je m’excuse). Et ça aurait été compliqué de trouver autre chose un samedi soir pour 7. On a donc décidé d’appeler le restaurant pour les prévenir et éviter un refus le jour J. Eren a appelé le vendredi, et heureusement car la propriétaire ne semblait pas être au courant de la loi. Il lui a expliqué que Manille de part son statut de chien guide avait bien le droit de rentrer, qu’il l’appelait justement pour qu’elle puisse se renseigner d’ici le lendemain. Elle a accepté, a demandé combien nous serions et a dit qu’elle nous trouvera une table pour que tout le monde soit tranquille. Un poids en moins. Eren l’a rappelée le samedi matin, histoire d’être bien sûr. Manille allait se rendre au buffet à volonté ce soir. Et moi je ne pouvais plus reculer.

Samedi soir, on est venu nous chercher pour aller au restaurant. Eren m’a guidée jusqu’à une voiture et a ouvert la portière avant côté passager. J’ai réalisé à quel point ma chienne était plus sociable que moi puisqu’elle a grimpé sans hésitation aux pieds d’une fille qu’elle n’avait jamais vue auparavant. Moi je me suis glissée sur la banquette arrière (j’ai littéralement glissé dessus, tel le pingouin sur la banquise. J’aurais pu passer la soirée à glisser comme ça tant c’était marrant mais je ne l’ai pas fait, c’était pas le programme initial). Je me suis installée derrière le conducteur, et là ça a été le drame: je n’avais aucune idée d’avec qui j’étais montée. Bon en soi c’était pas grave, il y avait Eren à côté de moi donc au moins j’étais ps allée dans la camionnette du facteur. Ce qui m’a embêtée c’était que je ne savait pas qui de Vegeta ou de Goku était devant moi. Je pouvais pas demander « ohé monsieur z’êtes qui, avec qui je suis lààà », ça aurait été gênant pour tout le monde. Du coup je me suis concentrée. Le type était grand et avait une certaine masse capillaire, ok c’était San Goku et Chichi à l’avant. C’est ce qu’on appelle avoir le sens des détails, ou technique de survie en groupe pour déficients visuels et prosopagnosiques. En plus actuellement avec mon implant, en voiture j’entends comme des bourdonnements quand les gens parlent, j’ai du mal à comprendre et à discriminer les voix. Donc là j’avais absolument aucune idée de ce qui se disait, et encore moins de qui parlait. Heureusement qu’il y avait les cheveux de Goku pour m’aiguiller quoi. On est arrivé au restaurant, j’ai mis son petit harnais de chien guide à Manille et elle m’a guidée jusqu’à l’entrée. Inspiration. Ouverture de porte par Eren. Inspiration. Présentation du pass sanitaire. Expiration (au bout d’un moment ça devient compliqué d’inspirer si t’expires pas). Et on a rejoint les autres déjà installés à une grande table ronde dans un coin.

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Rapport au corps malade

Un sujet que j’aimerais beaucoup aborder depuis un moment, c’est celui du rapport au corps lorsqu’il devient malade. C’est quelque chose que j’ai expérimenté l’an dernier. Mon corps a commencé à me « faire défaut », à ne plus fonctionner correctement. Alors qu’il n’avait que 22 ans, ce corps est devenu un problème. Forcément, ça a eu des répercussions sur mon bien-être psychique: il est devenu source d’inquiétudes, d’incompréhensions, de peurs, de frustrations, de colère aussi. Un corps, ça vous porte; là c’est moi qui le portais à bout de bras. Il est devenu lourd, encombrant, gênant.

Il a arrêté de m’appartenir par moments, puisqu’il a fallu le confier au corps médical (oui c’est marrant). On a commencé à le scruter, l’étudier, le toucher, lui faire des prélèvements, le scanner, enregistrer ses réactions. Certes c’était nécessaire et c’était pour mon bien, quoi qu’il en soit j’ai dû me détacher de lui à bien des moments. Je le détestais pas, c’était pas de sa faute non plus. On ne se rend pas compte à quel point tout est réglé comme du papier à musique, le moindre petit grain de sable peut venir enrayer la machine.

Mon corps, je l’ai un peu oublié et mis de côté. J’ai commencé à beaucoup dormir en journée. D’une part, j’allais mal et je n’avais plus d’énergie. Ensuite, dormir c’était un moyen de passer le temps. Dormir, ça voulait dire rêver: dans mes rêves je n’étais pas malade, j’allait bien. Dormir, ça permettait de se couper de la réalité, de faire un break. Ce corps, j’ai arrêté de l’habiter momentanément. J’ai essayé de le quitter, mais ça ne marche pas comme ça.

J’ai de vieux comportements pourris qui ont refait surface. J’ai eu des pulsions auto-agressives, parfois juste des idées et parfois des pertes totales de contrôle. Ce corps, je lui ai fait du mal directement ou indirectem. C’était de la colère et du mal-être, c’était pas forcément contre lui. Pourtant c’est à lui que je m’en suis pris.

On s’est un peu désolidarisés lui et moi. Sauf qu’en fait, lui et moi on ne fait qu’un, pour le meilleur et pour le pire. Ça m’a pris du temps d’arrêter de nous flageller. Je crains encore souvent qu’il ne me réserve d’autres (mauvaises) surprises, mais j’essaye quand même de voir ses bons côtés. Il a beau être un peu défaillant sur les bords, bah il marche. Il s’adapte, il crée de nouvelles connexions, il « s’actualise ». Rien que pour ça, il mérite d’être pris en considération.

Remercier son corps, prendre soin de lui, même quand (surtout quand) il en fait des siennes. Malgré son état qui se dégradait, et malgré mes « épisodes auto-agressifs », j’ai commencé à y faire un peu plus attention et à me recentrer sur lui. C’est venu petit-à-petit, par des gestes assez anodins finalement: j’ai commencé à avoir une « routine beauté ». Pas grand chose, juste m’accorder quelques minutes par jour pour me chouchouter. Non seulement elle m’a fait du bien physiquement cette routine, mais aussi psychologiquement. Mon corps m’appartenais à nouveau. Même si la journée avait été horrible, pendant quelques minutes je me reconnectais à lui. Ça m’a aussi permis de comprendre que même avec deux sens en moins, je pouvais continuer à percevoir le monde, différemment. Mon corps et moi, on allait continuer à exister malgré la maladie. Il fallait continuer à faire équipe, à prendre soin l’un de l’autre.

C’est un peu évident comme constat, mais prendre soin de soi c’est importent. Se ré-approprier un corps malade, c’est essentiel. Ça demande de la patience et des efforts c’est vrai. Un corps on n’en a qu’un: on ne le choisi pas, il peut tomber en panne ou nous jouer des tours; on est lié à lui le temps d’une vie et il faut apprendre à cohabiter ensemble.